Police, protectrice de l’ordre social (genré) : le cas des femmes manifestantes au Québec

Maude Pérusse-Roy et Massimiliano Mulone

Article complet du #84 | La police à l’épreuve de la démocratie

Résumé

Le degré de coercition déployé par la police dans le cadre de manifestations varie en partie selon certaines caractéristiques propres aux individus mobilisés : race, classe, idéologie politique, notamment. Les groupes subordonnés qui mettent en cause l’ordre social établi semblent de fait particulièrement visés par des interventions musclées des forces de l’ordre. S’inscrivant dans la continuité de ces études, cet article s’intéresse à la manière dont les manifestantes perçoivent l’influence du genre sur les pratiques policières en matière de gestion de foules ; est-il un facteur auquel les styles de gestion de foules sont sensibles ? Les femmes, en tant que groupe subordonné, sont-elles plus violemment ciblées par la police ? À partir d’entrevues semi-dirigées avec des manifestantes ayant vécu de nombreuses interactions conflictuelles avec la police, il nous a été possible d’observer que le genre caractérise significativement l’expérience des femmes. Plus précisément, les résultats pointent un double traitement des femmes manifestantes par la police. D’un côté, celles qui correspondent en apparence aux stéréotypes associés à leur identité de genre sont considérées par les policiers comme des victimes de mauvaises influences, mobilisées presque par erreur. Ce paternalisme genré décrédibilise leur mobilisation et réduit la portée de leur action politique. De l’autre, celles qui transgressent les rôles qui leur sont habituellement assignés sont traitées avec violence — une violence (verbale et physique) elle-même genrée, visant le corps des femmes de manière spécifique. Ces observations nous amènent à conclure que la police défend également un ordre social genré, punissant plus sévèrement les manifestantes qui transgressent les normes qui y sont associées.

Mots-clés : Police, genre, gestion de foules, manifestantes, femmes, féminisme

Abstract

Research tends to state that protest policing strategies are partly dependent on specific protester’s characteristics, like race, class and political ideology. Indeed, it seems that police are more prone to use force against subordinate groups who challenge the established social order. This paper looks into women protesters’ perception of the influence of gender on the tactics used by the police when protest arise. Is gender a variable which modulates the policing protest strategies adopted? Are, for example, women protesters treated more harshly by the police? Drawing from semi-directive interviews with women protesters who had numerous conflictual interactions with the police, this study shows that their experiences are characterized by their gender. Two distinct strategies are used by the police whether women were consistent with the gender-related stereotypes. On one side, if they fit within the boundaries of their woman’s roles, they will usually be treated as victims of bad influences. By doing so, the police minimizes the credibility of their cause and weaken their political empowerment. On the other side, women protesters who move away too sharply from the dominant social norms are violently — verbally and physically — treated, with forms of violence that are gender specific. These observations point to the hypothesis that the police, by punishing more harshly those who do not respect these gendered norms, defends a gendered social order.

Keywords: Police, gender, policing protest, women protesters, women, feminism

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