#84 | La police à l’épreuve de la démocratie
Sommaire
Introduction
La police à l’épreuve de la démocratie
Pascale Dufour, Francis Dupuis-Déri et Anaïk Purenne
Police, démocratie et mobilisations sociales : entrevue avec Alex S. Vitale
Emanuel Guay et Carl E. Plowright
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Résumé
Le sociologue américain Alex S. Vitale s’est affairé, tant dans sa production universitaire que dans son engagement militant, à documenter l’évolution des rapports entre le système de justice pénale et la politique. Il a noté une tendance de plus en plus marquée, du côté des gouvernements américains, à concevoir les problèmes sociaux comme devant être réglés par la police, les cours de justice et les centres de détention. Ce tournant punitif prend de nombreuses formes, de la criminalisation des communautés racisées et des personnes de confession musulmane jusqu’à l’expansion des forces policières et de leurs prérogatives, en passant par une répression de plus en plus sévère des individus sans statut de citoyenneté aux États-Unis. Notre entretien avec Vitale vise à présenter ses travaux, tout en mettant en lumière les tensions entre la police, la justice sociale et la démocratie.
Mots-clés : police, démocratie, inégalités, mouvements sociaux, guerre contre la drogue
Abstract
The American sociologist Alex S. Vitale has worked, both through his academic production and his activist involvement, on the evolution of relationships between the criminal justice system and politics. He has noted American governments’ increasing tendency to apprehend social problems as issues that should be resolved through criminal justice intervention, whether it be the police, the courts or detention centres. This punitive turn takes many forms, from the criminalization of racialized communities and people of Muslim faith to the expansion of police forces and their prerogatives, as well as an increasingly severe repression of individuals without citizenship status in the United States. Our interview with Vitale aims to present his work, while highlighting the tensions between the police, social justice and democracy.
Keywords : police, democracy, inequality, social movements, war on drugs
Section 1 – Les dynamiques endogènes de transformation : vers une police plus démocratique?
Stabilité et crises du système policier belge (1830-2018)
Jonas Campion
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Résumé
En Belgique, l’histoire du système policier se divise en deux grandes périodes contrastées. D’une part, l’appareil d’ordre conçu à la suite du projet révolutionnaire de 1830 se caractérise d’abord par une grande stabilité dans le temps, malgré ses limites et des débats parfois virulents à son propos. D’autre part, à partir de 1980, c’est une tout autre situation qui prévaut : le système policier belge est au coeur de critiques de plus en plus fortes, qui débouchent sur une série de réformes faisant table rase du passé. La mouvance réformatrice perdure à ce jour. Cette nouvelle donne de la sécurité est ancrée au coeur de dynamiques multiples. S’y retrouve un mouvement transnational de réformes, marquées notamment par la crise du sentiment de sécurité, mais qu’il faut également comprendre à l’aune de facteurs propres à la société belge, se rapportant à des dysfonctionnements policiers et à une transformation des structures du pays, qui est en voie de fédéralisation.
Cet article éclaire le contraste entre stabilité et réformes policières, en soulignant comment les enjeux et difficultés de la démocratie belge ont mené au maintien ou à la transformation de l’appareil d’ordre. Liant les crises sociales et policières, nous mettons en lumière les évolutions des fondements idéologiques sous-jacents aux questions d’ordre et aux choix relatifs à la police dans le pays.
Mots-clés : Belgique, police, sécurité publique, réforme policière, histoire, 19e siècle, 20e siècle, appareil policier, guerres mondiales
Abstract
In Belgium, the history of the police apparatus is divided in two contrasted periods. On the one hand, the police system designed after the 1830 Revolution is characterized by great stability over time, despite its limitations and criticism against it. On the other hand, from 1980 onwards, the situation changes: the Belgian police apparatus is facing increasingly strong criticism, which leads to a reform movement. It leads to a new situation. The reform movement is still going nowadays. This new security perspective is rooted in the heart of several dynamics. There is a transnational reforms dynamic, marked by the insecurity crisis. But it must also be understood within particular national context, relating to police dysfunctions and the federalization of Belgian institutions.
Keywords: Belgium, police, public security, police reform, history, 19th century, 20th century, police apparatus, world wars
La théorie de la vitre cassée au Japon : le maillage des réseaux microlocaux par les riverains
Naoko Tokumitsu-Partiot
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Résumé
La participation de la population à la prévention de la délinquance s’est trouvée encouragée au Japon, notamment depuis les années 1990, sous l’influence de la théorie de la vitre cassée. En regard de l’Amérique du Nord ou de la France, par exemple, force est d’y constater une importance plus marquée accordée à l’éducation morale, à laquelle répond un moindre degré d’encadrement par la police. Reposant sur l’analyse de documents remontant aux années 1970 jusqu’à aujourd’hui ainsi que sur des enquêtes de terrain (observations directes, entretiens semi-directifs), notamment à Tokyo (Shibuya et Suginami), cet article vise à décrire la manière dont les concepts états-uniens furent traduits par divers acteurs (cadres policiers, chercheurs, urbanistes, acteurs de terrain) de sorte que s’effectue un rapprochement entre police et population, le rôle des riverains en matière de maintien de l’ordre s’en trouvant dès lors accru. En effet, au moindre signe jugé problématique, cette nouvelle dynamique amène la population à informer les forces de l’ordre, leur intervention étant de ce fait justifiée. Dans le cas d’un quartier commercial, cet aspect revêt un caractère répressif, tout en étant légitimé par la défense de la prospérité économique locale. Un profilage des individus « à risque » apparaît alors, notamment à l’égard des jeunes adolescents et des étrangers. Dans les quartiers résidentiels, en revanche, la diffusion et la traduction de la théorie de la vitre cassée apparaissent plutôt comme un moyen de mettre en valeur le rôle moral des personnes âgées. Ainsi, en instrumentalisant la notion de société civile, la police parvient à se rapprocher d’une certaine partie de la population.
Mots-clés : community policing, théorie de la vitre cassée, police, participation, riverains
Abstract
The participation of the population in the prevention of delinquency has been encouraged in Japan, especially since the 1990s, under the influence of the broken windows theory. In comparison with North America or France, for instance, we observe a marked importance of moral education and a lesser degree of supervision by the police. Based on the analysis of documents since the 1970s as well as on field surveys (direct observations, semi-structured interviews), especially in Tokyo (Shibuya and Suginami), this article aims to clarify the ways in which the American concepts have been translated by various actors (representatives of law enforcement, researchers, urban planners, residents) in order to justify a closer relationship between the police and the population and the increasing role of residents in crime prevention. Indeed, at the slightest sign considered problematic, this new dynamic leads the population to inform the forces of law and order, thus justifying their intervention. In the case of commercial districts, the actors are repressive, while legitimizing their actions by saying that they are defending elements of local prosperity. A profiling of individuals “at risk” then develops, especially with regard to young adolescents and foreigners. Whereas, in residential areas, the broken windows theory appears as a way to highlight the moral role played by elderly persons. Thus, by exploiting the notion of civil society, the police manage to get closer to a certain part of the population.
Keywords: community policing, broken windows theory, police, participation, residents
De l’incident à la crise : le cas du contrôle de la police au Québec et en Colombie-Britannique
André Bernier
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Résumé
Cet article s’intéresse à la genèse des crises de légitimité policière associées aux réformes du contrôle externe de la police au Québec et en Colombie-Britannique. En misant sur l’analyse détaillée de trois cas, il cherche à mettre en lumière les ressorts de la dynamique qui mène de l’incident grave impliquant un policier à la crise de légitimité. Partant du constat d’une inégalité des incidents en ce qui concerne leurs effets, l’article cible les caractéristiques qui permettent à certains d’entre eux de se constituer en événements focalisants. Il étudie également la crise en elle-même, de façon à déterminer quels sont les éléments qui permettent à l’incident de devenir un catalyseur du changement dans l’action publique.
Mots-clés : police, incident critique, événement focalisant, crise, contrôle de la police
Abstract
This article looks at police legitimacy crises in the context of external police control reforms in Quebec and British Columbia. Using detailed analysis of three cases, it aims to identify the drivers of the social dynamics that lead from the serious incident involving a police officer to the crisis of legitimacy. Starting from the observation of an inequality of the incidents in terms of their effects, the article identifies the characteristics which allow some of them to constitute themselves into a focusing event. It also looks at the crisis itself, in order to identify the elements allowing the incident to fulfill the role of a catalyst for change in public action.
Keywords: police, critical incident, focusing event, crisis, police oversight
Le gendarme et les festivals : l’indemnisation des forces de l’ordre par les organisateurs d’événements musicaux en France
Myrtille Picaud
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Résumé
Cet article examine l’indemnisation des forces de l’ordre par les organisateurs d’événements musicaux, en particulier de festivals, en France. La gestion de l’ordre public y est marquée par la prééminence de l’État, ainsi que de la police nationale et la gendarmerie. L’indemnisation des services de ces dernières témoigne du pouvoir discrétionnaire du préfet, représentant de l’État, dans l’établissement (ou non) de la facturation, laquelle fait l’objet de fortes résistances de la part des organisateurs de festivals. En variant les dispositifs de sécurité ainsi que les montants de l’indemnisation, les préfets influent sur les relations entre forces de l’ordre et administrés. Dans le cas de l’indemnisation des forces de l’ordre par les organisateurs d’événements musicaux, sur qui s’exerce ce pouvoir discrétionnaire, et avec quels effets ? Et que révèle la mise en oeuvre de « droits », mais aussi de « passe-droits » par l’autorité préfectorale au sujet des relations entre État, police et société ? Une enquête qualitative, combinant entretiens, observations et sources documentaires variées, permet de répondre à ces questions. L’examen du recours différencié à l’indemnisation des forces de l’ordre par les préfets témoigne de la centralité des caractéristiques des territoires concernés, ainsi que des représentations préfectorales des événements musicaux et de leurs publics, prises en compte dans la définition du dispositif de sûreté. De surcroît, la définition des territoires professionnels et du monopole de l’État dans l’exercice de la violence légitime freine la concertation entre organisateurs et préfets sur la mise en oeuvre des dispositifs de sûreté.
Mots-clés : police, gendarmerie, indemnisation, préfet, pouvoir discrétionnaire, sûreté, festivals
Abstract
This paper examines the way military and civilian police bill their services to musical event organisers, particularly festivals, in France. In this country, the State holds a preeminent position in the managing of public order, with military and civilian police. The compensation of their services testifies to the discretionary power of the prefect, who represents the State, in establishing the invoice (or avoiding to). By varying the number of police forces and the amount of the compensation, prefects influence the relationship between law enforcement and the people they serve. This billing is strongly opposed by festival organisers. In the case of the billing of police services during music events, on who is this discretionary power used and with what effects? And what does the strict implementation of the billing, or on the contrary, the allocation of special favours by the prefects reveal of the relationships between the State, the police and society? These questions are answered by drawing on qualitative material, combining interviews, ethnographic data and diverse documentary sources. The analysis of the differential use of the billing sheds light on the role that the territories’ characteristics, as well as the prefectural representations of musical events and their audiences play in the definition of the security measures. In addition, the way professional territories are defined and the State’s monopoly in the exercise of legitimate violence hinders dialogue between organizers and prefects on the implementation of security measures.
Keywords: police, billing, prefect, discretionary power, safety, festivals, music
Pas de révolution pour la police ? Syndicats et organisations internationales autour de la « Réforme du secteur de la sécurité » en Tunisie après 2011
Audrey Pluta
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Résumé
Cet article interroge les projets menés au nom de la réforme et de la démocratisation de la police en Tunisie post-révolution. La période suivant le départ de Ben Ali a effectivement connu une série de réajustements au sein des forces de sécurité, notamment à la suite d’une ouverture sur de nouvelles sources d’influence, émanant de professionnels de la sécurité organisés sous forme de syndicats ou d’associations, ou bien d’acteurs internationaux. Partant d’une analyse du projet de police de proximité porté par le PNUD et le ministère de l’Intérieur, cet article tâchera de montrer que, si les structures et les normes régissant les forces de l’ordre ne connaissent pas de modification profonde, le rapprochement entre policier et citoyen mené au nom de la réforme a pour effet de sélectionner la participation citoyenne en excluant les dominés. L’action menée par les syndicats policiers nouvellement formés contribue encore à réduire le spectre du changement politique en réduisant le contrôle sur les policiers en même temps que leur redevabilité vis-à-vis de la population. Ces syndicats parviennent, en reprenant à leur propre compte les discours de la « Réforme du secteur de la sécurité » (RSS), à légitimer et à consolider leur position de représentants des corps policiers. Il s’agira donc de revenir sur un processus de changement à l’oeuvre sans présumer de son issue, en le réinscrivant dans sa temporalité politique et entre les lignes de tension entourant la définition de ses termes au sein des forces de l’ordre.
Mots-clés : Réforme du secteur de la sécurité, police de proximité, Tunisie, action publique de sécurité, relation police-population, syndicalisme policier
Abstract
This article analyses projects carried out in the name of police reform and democratization in post-revolution Tunisia. The period following the departure of Ben Ali saw a series of readjustments within the security forces, notably following an opening to new sources of influence, emanating from security professionals organized in the form of unions or associations, or international players. Based on an analysis of the community policing project carried out by the UNDP and the Ministry of the Interior, the purpose of the article is to show that, without profoundly modifying the structures and standards governing the police, the enhancement of relations between police and citizen carried out in the name of the reform excludes the subaltern. Newly formed police unions further reduce the specter of political change by doing lobbying work to exclude police control and accountability from SSR. They manage, by taking over the discourses of the Security Sector Reform, to legitimize and strengthen their position as representatives of the police forces. The aim of the article is to analyze a process of change at work without presuming its outcome, by reinscribing it in its political temporality and the lines of tension around the definition of the terms of change within the police.
Keywords: security sector reform, community policing, Tunisia, security policies, police-population relations, police unions
Section 2 – Les limites des dynamiques exogènes de démocratisation de la police : le cas de la France
Les mobilisations à l’épreuve de l’opacité policière en France
Magda Boutros
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Résumé
Cet article analyse l’impact de l’opacité entourant l’action policière sur les mobilisations qui dénoncent les violences et discriminations policières en France. Sur la base d’une enquête qualitative de trois mobilisations contemporaines, l’article montre que les militants perçoivent l’opacité policière comme un obstacle important à l’élaboration de mobilisations, et qu’ils investissent dans la production de connaissances pour corroborer leurs dénonciations. De nombreux travaux sociologiques ont démontré que les mouvements sociaux participent à la production de connaissances, mais peu ont examiné la manière dont la production de connaissances influence à son tour la définition des causes militantes. En comparant différents modes de production des connaissances, l’enquête révèle que, selon la méthodologie de collecte des données, le matériau empirique collecté et le prisme d’analyse adopté, ceux-ci mettent en évidence différents aspects des pratiques policières, et contribuent ainsi à consolider certains cadrages du problème au détriment d’autres.
Mots-clés : police, opacité policière, mobilisations, connaissances, contrôles au faciès, violences policières, exclusion sociale
Abstract
This article analyses the impact of the opacity surrounding police actions on mobilizations challenging police violence and discrimination in France. Based on a qualitative study of three contemporary mobilizations, the article shows that activists perceive police opacity as an important obstacle to movement building and that they invest in the production of knowledge to substantiate their claims. Existing sociological research demonstrates that social movements participate in knowledge production, but few have examined how knowledge production shapes how causes are framed. By comparing different modes of knowledge production, this study shows that depending on the methodology used, the type of data collected, and the analytical lens adopted, different modes of knowledge production emphasize different aspects of policing practices and help consolidate specific frames, at the expense of others.
Keywords: police, police opacity, mobilizations, knowledge, racial profiling, police violence, social exclusion
Les violences policières en procès : mort d’Amine Bentounsi : la condamnation exceptionnelle du policier Saboundjian
Anthony Pregnolato
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Résumé
Plusieurs travaux sur la relation entre police et démocratie montrent comment, à la fois, le droit encadre et contraint l’usage de la violence par la police, et que le fonctionnement même des institutions policières, judiciaires et politiques offre à la police des normes d’usage de la violence en marge du droit. Même s’il arrive que des policiers et des policières soient jugées et condamnées, des victimes et des collectifs militants dénoncent une « impunité » policière et un manquement de l’État de droit — perçu comme garant de la démocratie — en matière de traitement des violences policières par la justice. À partir de l’observation du procès en appel du policier Damien Saboundjian à la cour d’assises de Paris en 2017, nous nous interrogeons sur la décision improbable qui a été prise au sein du tribunal : remettre en question la version du policier accusé et la légitimité de son usage de la violence. L’article émet l’hypothèse suivante : la condamnation, même exceptionnelle, repose sur la rupture d’un équilibre des rapports de force entre la justice et la police au sein d’une configuration spécifique qu’est le procès d’un membre de la police.
Mots-clés : violences policières, justice, mobilisation, légitime défense
Abstract
Several research papers focusing on the connection between police and democracy show how the law both regulates and constrains the use of violence by the police, and how this law and the very functioning of police, judicial and political institutions give the police officers margins of violence use outside the law. Even though police officers are sometimes tried and convicted, victims and activists denounce “police impunity” and breaches of the rule of law – perceived as democracy’s guarantor – in terms of treatment of police violence by courts. The demonstration is based on the observation of the appeal of police officer Damien Saboundjian at the Paris assize court in 2017. We show the improbability of questioning the version of the accused police officer and the legitimacy of his use of violence, within the court. The article puts the following hypothesis: the conviction, even exceptional, based on the rupture of a balance of power relations between justice and the police, within a specific configuration that is the trial of a police officer.
Keywords: police violences, justice, mobilization, legitimate defence
La légitimité des institutions pénales : un programme démocratique et scientifique
Anne Wuilleumier
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Résumé
Le diagnostic d’une crise de légitimité de la police a été posé à la fin du siècle dernier, d’abord empiriquement à travers le développement de phénomènes émeutiers, puis par une importante production de rapports publics en France et dans le monde. Face à cette mise en accusation du travail policier, des réponses institutionnelles ont été imaginées pour essayer de démocratiser les politiques policières. Néanmoins, le modèle de police professionnelle, fortement ancré dans le contexte français, semble faire figure d’obstacle insurmontable à une telle transformation. Comment, dès lors, intéresser la police française à sa relation avec la population ? Dans cet article, nous revenons sur une expérience de recherche récemment conduite en France en coopération avec le ministère de l’Intérieur, dont l’objectif était d’habituer les services de police à soumettre leurs politiques de sécurité à l’examen de la population habitant dans leur secteur. À côté de développements consacrés à l’ingénierie de projet que nous avons adoptée, nous insistons sur la fenêtre d’opportunité offerte selon nous par la transformation du champ scientifique spécialisé dans l’étude des institutions pénales et, en particulier, le développement du courant de la Procedural justice. En rompant avec les approches plus substantielles de la légitimité policière, l’approche procédurale semble permettre de lutter à bas bruit contre l’isolement social du policier, lequel constitue sans doute un des noeuds majeurs à défaire pour ouvrir la voie à une démocratisation des politiques policières.
Mots-clés : police, démocratie, sciences sociales, procedural justice, community
Abstract
Policing has been encountered a legitimacy crisis since the end of the 20 century in France and abroad. It has been documented first by the development of urban riots and secondly by numerous public reports. Facing this questioning of police work, institutional answers have been imagined to bring about a democratisation of policing. Nevertheless, the professional model of policing which is deeply ingrained in the French police seems to constitute an insurmountable obstacle which inhibits such a transformation. What can we do then to make French police officers interested in their relationship with people? In this paper we will take a look back to a recent research led in cooperation with the French Ministry of Interior in order to improve in the local police the habit of studying public view about police work. We will present and discuss the project engineering we used but we will also emphasise the opportunity window that offered, by our opinion, the procedural justice turn in the specialised scientific field. In taking distance with substantial approaches of police legitimacy, the procedural approach seems to constitute a peaceful way to reduce police social isolation which represents a Gordian knot in the democratisation of policing.
Keywords: police, democracy, social sciences, procedural justice, community policing
Les tensions entre police et citoyens sont-elles solubles dans la démocratie délibérative ? L’exemple d’un dispositif participatif à Vaulx-en-Velin
Anaïk Purenne et Hélène Balazard
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Résumé
À la fin de l’année 2018 s’est tenue, à Vaulx-en-Velin, une « conférence citoyenne de consensus » consacrée à la question du rapprochement police-population dans les quartiers populaires. L’enjeu de cet événement était d’outiller des citoyens « profanes » et, notamment, des jeunes de cette banlieue populaire de Lyon, ainsi que des gendarmes et policiers, pour qu’ils puissent réfléchir à des recommandations conjointes permettant de dépasser la conflictualité à l’oeuvre. Cet article propose de revenir sur les conditions de création et les effets de cet espace de dialogue, dans lequel les auteures de cet article ont joué le rôle de « tiers garant ». Cette implication a permis de mobiliser différentes sources. La participation observante a été complétée par l’analyse de sources écrites, ainsi que par la réalisation de focus-groupes et d’entretiens auprès d’une partie des participants et des animateurs afin d’appréhender les effets produits. L’intégration de ce dispositif dans une démarche de recherche-action participative inscrite sur le temps long, ainsi que l’établissement d’artefacts d’égalité entre les participants ont contribué à développer la confiance nécessaire au dialogue. Les effets de ce dispositif sont avant tout culturels, conduisant forces de l’ordre et (jeunes) citoyens à entamer un travail de déconstruction de leurs représentations réciproques. Des effets plus structurels sont également perceptibles : sur le territoire, les jeunes qui étaient les cibles des politiques de sécurité sont devenus des acteurs à inclure dans les processus de décision, même si cette reconnaissance n’est pas dénuée d’ambiguïtés.
Mots-clés : démocratie délibérative, participation citoyenne, quartiers populaires, relations police/population, jeunes, recherche participative
Abstract
At the end of 2018, a « citizens’ consensus conference » was held in Vaulx-en-Velin on the issue of police/citizen relations in working-class neighbourhoods. The purpose of this event was to equip « ordinary citizens », especially young people, from this popular suburb of Lyon, as well as the police, to think about joint recommendations for solutions to overcome the conflict between them. This article will analyze the conditions required to facilitate as well as the outcomes of this dialogue. The authors of this article played the role of objective facilitator. This involvement made it possible to utilize multiple sources. Observer participation was supplemented with analysis of written sources, as well as focus groups and interviews with participants and facilitators in order to understand the outcomes produced. The integration of this conference into a long-term participatory action-research approach, as well as the efforts made to give to all participants the same role in the process, contributed to developing the confidence necessary for constructive dialogue. The effects of this conference are primarily cultural, leading law enforcement and (young) citizens working toward the deconstruction of their reciprocal negative preconceptions of each other. More structural effects are also evident: in the region, from targets of security policies, young people have become actors that are invited to participate in decision-making processes, even if the impact of their input on the political agenda is varied.
Keywords: deliberative democracy, citizen participation, deprived neighbourhood, police/citizen relations, youth, participatory research
Section 3 – Les enjeux de justice sociale : les relations de la police avec les personnes minorisées
Les inégalités ethnoraciales face au système de justice pénale et la démocratie : une analyse du cas canadien
Emanuel Guay
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Résumé
Cet article se propose d’étudier les enjeux soulevés par les inégalités ethnoraciales face au système de justice pénale dans un contexte démocratique, à partir d’une analyse en deux étapes. Nous esquissons d’abord un portrait de ces inégalités au Canada. Nous mettons ensuite en lumière les conséquences de ces inégalités et, notamment, les manières dont elles contreviennent aux principes structurants de la démocratie libérale. Nous concluons en examinant des pistes de solution identifiées dans la littérature sur le sujet pour contrer ces inégalités et, par extension, pour remédier à la perte de confiance qu’elles peuvent provoquer à l’égard du système de justice pénale et, plus largement, de la société dans laquelle les personnes et les communautés concernées vivent.
Mots-clés : inégalités ethnoraciales, démocratie, système de justice pénale, Canada, police
Abstract
This article aims to analyze the issues raised by ethnoracial inequalities in the criminal justice system in a democratic context, with an analysis in two steps. We first outline a portrait of these inequalities in Canada. We then highlight the consequences of these inequalities, as well as the tensions between them and the founding principles of liberal democracy. We conclude by examining potential solutions that have been identified in the literature to address these inequalities and, by extension, overcome the breach of trust that they can provoke towards the criminal justice system and, more broadly, the society in which the concerned persons and communities live.
Keywords: ethnoracial inequalities, democracy, criminal justice system, Canada, police
Police, protectrice de l’ordre social (genré) : le cas des femmes manifestantes au Québec
Maude Pérusse-Roy et Massimiliano Mulone
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Résumé
Le degré de coercition déployé par la police dans le cadre de manifestations varie en partie selon certaines caractéristiques propres aux individus mobilisés : race, classe, idéologie politique, notamment. Les groupes subordonnés qui mettent en cause l’ordre social établi semblent de fait particulièrement visés par des interventions musclées des forces de l’ordre. S’inscrivant dans la continuité de ces études, cet article s’intéresse à la manière dont les manifestantes perçoivent l’influence du genre sur les pratiques policières en matière de gestion de foules ; est-il un facteur auquel les styles de gestion de foules sont sensibles ? Les femmes, en tant que groupe subordonné, sont-elles plus violemment ciblées par la police ? À partir d’entrevues semi-dirigées avec des manifestantes ayant vécu de nombreuses interactions conflictuelles avec la police, il nous a été possible d’observer que le genre caractérise significativement l’expérience des femmes. Plus précisément, les résultats pointent un double traitement des femmes manifestantes par la police. D’un côté, celles qui correspondent en apparence aux stéréotypes associés à leur identité de genre sont considérées par les policiers comme des victimes de mauvaises influences, mobilisées presque par erreur. Ce paternalisme genré décrédibilise leur mobilisation et réduit la portée de leur action politique. De l’autre, celles qui transgressent les rôles qui leur sont habituellement assignés sont traitées avec violence — une violence (verbale et physique) elle-même genrée, visant le corps des femmes de manière spécifique. Ces observations nous amènent à conclure que la police défend également un ordre social genré, punissant plus sévèrement les manifestantes qui transgressent les normes qui y sont associées.
Mots-clés : Police, genre, gestion de foules, manifestantes, femmes, féminisme
Abstract
Research tends to state that protest policing strategies are partly dependent on specific protester’s characteristics, like race, class and political ideology. Indeed, it seems that police are more prone to use force against subordinate groups who challenge the established social order. This paper looks into women protesters’ perception of the influence of gender on the tactics used by the police when protest arise. Is gender a variable which modulates the policing protest strategies adopted? Are, for example, women protesters treated more harshly by the police? Drawing from semi-directive interviews with women protesters who had numerous conflictual interactions with the police, this study shows that their experiences are characterized by their gender. Two distinct strategies are used by the police whether women were consistent with the gender-related stereotypes. On one side, if they fit within the boundaries of their woman’s roles, they will usually be treated as victims of bad influences. By doing so, the police minimizes the credibility of their cause and weaken their political empowerment. On the other side, women protesters who move away too sharply from the dominant social norms are violently — verbally and physically — treated, with forms of violence that are gender specific. These observations point to the hypothesis that the police, by punishing more harshly those who do not respect these gendered norms, defends a gendered social order.
Keywords: Police, gender, policing protest, women protesters, women, feminism
La police « démocratique » comme productrice de (dés)ordres sociaux : les cas du Brésil et du Mexique
Annabelle Dias Felix
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Résumé
En utilisant une approche microsociologique et en s’appuyant sur deux études de cas, celles de Rio de Janeiro au Brésil et de Nezahualcóyotl au Mexique, le présent papier soutient que l’expérience vécue dans les programmes de police dits démocratiques peut être différente de — voire contraire à — l’image générale dépeinte par les autorités publiques et par les médias. Dans les cas « à succès » recensés au Brésil et au Mexique, des pratiques policières non démocratiques subsistent, mais sont invisibilisées par divers mécanismes. La première partie de cette contribution offre une définition de ce que serait un programme de police démocratique « à succès » selon la littérature en mettant l’accent sur les pratiques attendues d’un tel programme ainsi que sur les indicateurs de sa réussite. La seconde partie présente quant à elle les limites de cette définition du succès, démontrant qu’un changement de focale dévoile les dessous non démocratiques des pratiques policières.
Mots-clés : police démocratique, police communautaire, politiques de sécurité publique, Brésil, Mexique
Abstract
Based on the case studies of Rio de Janeiro, Brazil, and Nezahualcóyotl, Mexico, and using a microsociological approach, this paper argues that the experience of the so-called democratic police programmes may be different or even contrary to the general image portrayed by public authorities and the media. In the « successful » Mexican and Brazilian cases, undemocratic police practices persist but are made invisible. The first part of this contribution provides a definition of what a « successful » democratic police program would look like, based on the literature. It will focus on the expected practices of such a program and indicators of success. On the other hand, the second part presents the limits of this definition of success, demonstrating that a change of focus reveals the undemocratic underpinnings of police practices.
Keywords: democratic policing, community-oriented policing, public security policies, Brazil, Mexico
Femmes et violence policière : réflexions féministes sur le pluralisme violent dans les favelas de Rio de Janeiro au Brésil
Anne-Marie Veillette
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Résumé
Cet article se penche sur la violence policière en contexte de « pluralisme violent » tel que défini par Arias et Goldstein (2010), dans une perspective féministe et intersectionnelle. Les résultats s’appuient sur des données qualitatives obtenues lors d’entrevues, de groupes de discussions et d’observations participantes dans le cadre de deux recherches de terrain menées dans treize favelas de la ville de Rio de Janeiro au Brésil auprès de quarante résidentes en 2016 et 2018. L’article développe deux arguments principaux. Premièrement, malgré l’invisibilisation des expériences des femmes afrodescendantes, celles-ci ne sont pas épargnées par la violence policière qui repose sur les rapports sociaux de classe, de race, de genre et de spatialité. Deuxièmement, considérant la récurrence des incursions violentes de la police, les femmes afrodescendantes doivent assumer une charge de travail supplémentaire, principalement en ce qui a trait au travail du care, qui continue d’être socialement dévolu aux femmes. Se protéger de la violence policière au quotidien s’articule ainsi fortement à une forme de care préventive (ou « dirty care ») qui alourdit et complexifie considérablement la vie quotidienne. Cet article propose de concevoir la violence policière comme un élément fondamental de la violence urbaine dans les favelas, elle-même reliée au contexte plus large de pluralisme violent qui caractérise nombre de « démocraties » en Amérique latine. Ainsi, l’éclairage féministe porté sur la violence policière a aussi pour ambition de contribuer à une compréhension du pluralisme violent qui prenne en considération la continuité des violences raciales et les rapports sociaux de genre.
Mots-clés : violence policière, pluralisme violent, femmes, favelas, Brésil
Abstract
This article examines police violence in the context of “violent pluralism” as defined by Arias and Goldstein (2010), from a feminist and intersectional perspective. The findings are based on two field studies conducted in 2016 and 2018 with 40 women residents of 13 favelas in the city of Rio de Janeiro, Brazil. Based on qualitative data obtained through interviews, focus groups and participatory observations, two main arguments are formulated. First, despite the invisibility of Afrodescendent women’s experiences, they are not spared from police violence, which is rooted in social relations of class, race, gender and spatiality. Second, given the recurrence of violent police incursions, women find themselves with an additional workload, particularly in the area of care work, which continues to be socially devolved to women. Protecting oneself from police violence on a daily basis is therefore strongly linked to a form of preventive care (or « dirty care ») that makes daily life significantly more difficult and complex. In the end, this article proposes to conceive police violence as a fundamental part of urban violence in the favelas, which is itself linked to the broader context of violent pluralism that characterizes many “democracies” in Latin America. Thus, the feminist perspective on police violence also aims to contribute to an understanding of violent pluralism that takes into account the continuity of racial violence and gender relations.
Keywords: police violence, violent pluralism, women, favelas, Brazil