L’éducation des pauvres à la sobriété énergétique : émergence et mise en oeuvre contestée de deux dispositifs à Nantes

Fabien Meslet

Article complet du #93 | Qu’est-ce qu’une vie sobre ?

FR : Depuis une quinzaine d’années, de nombreux gouvernements locaux développent des dispositifs d’incitation à la sobriété énergétique qui ciblent un groupe social en particulier : les classes populaires, notamment ses fractions précarisées. « Chauffez à 19 °C le jour et 16 °C la nuit », « pensez à débrancher vos appareils électriques » ou « dégivrez votre congélateur deux fois par an » sont les types de prescriptions qui leur sont adressées. Comment expliquer l’émergence et la légitimation de dispositifs éducatifs, normatifs et responsabilisants, qui demandent à ceux qui sont les plus exposés aux risques de privation d’énergie d’être plus sobres ? Échappent-ils à toute forme de controverse alors même qu’ils semblent participer à la reproduction des inégalités d’accès à l’énergie ? À partir des données empiriques issues d’une enquête qualitative menée à Nantes entre 2019 et 2023 et basée sur des observations de deux dispositifs locaux, des entretiens semi-directifs et un traitement documentaire, nous montrons que le développement d’un gouvernement local des conduites énergétiques des pauvres résulte à la fois des intérêts des acteurs qui prennent en charge le problème de « précarité énergétique », des représentations de ce problème et des pratiques domestiques des classes populaires qui circulent localement, et de l’adhésion des décideurs autant que des metteurs en oeuvre au principe de la responsabilisation écologique indifférenciée. L’article montre cependant que ces dispositifs éducatifs connaissent depuis quelques années des formes de remises en cause plus ou moins explicites par les agents de terrain qui sont chargés de les mettre en oeuvre quotidiennement.

Mots clés : précarité énergétique, gouvernement des conduites, mise en œuvre, instruments, changement 

EN: Over the past fifteen years or so, many local governments have been developing energy-saving incentives that target a specific social group: the working classes, and in particular those sections of the population with the greatest difficulty in paying for energy. “Heat to 19°C during the day and 16°C at night”, “remember to unplug your appliances” or “defrost your freezer twice a year” are the types of prescriptions addressed to them. How can we explain the emergence and legitimization of educational, prescriptive and empowering measures that require those most exposed to the risks of energy deprivation to be sober? Do they escape all forms of controversy, even though they appear to play a part in reproducing inequalities in access to energy? Using empirical data from a qualitative survey conducted in Nantes between 2019 and 2023, based on observations of two local schemes, semi-structured interviews and documentary processing, we show that the development of a local government of the energy behaviors of the poor is the result of the interests of the actors who take charge of the “fuel poverty” problem, the representations of this problem and the domestic practices of the working classes that circulate locally, and the adherence of decision-makers and implementers alike to the principle of undifferentiated ecological responsibility. The survey shows, however, that these educational measures have been called into question, more or less explicitly, by those responsible for their day-to-day implementation.

Keywords: fuel poverty, government of behavior, implementation, tools, change 

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