#85 | Le déterminisme parental en question la « parentalisation » du social
Depuis le début du 20e siècle, sont mis en place dans de nombreux pays du monde des politiques et dispositifs de soutien à la parentalité. Ce numéro propose un bilan international de la montée en généralité de ce paradigme de l’intervention auprès des parents, que ce soit à travers les cultures et normes véhiculées, des politiques étatiques ou des interventions locales.
Sommaire
Introduction
La parentalisation du social
Claude Martin et Xavier Leloup
Section 1 - Cultures de parentalité
Le « parent hélicoptère » et le paradoxe de la parentalité intensive au XXIe siècle
Ellie Lee et Jan Macvarish
|
Résumé
Le terme « parent hélicoptère » est aujourd’hui très présent dans les discours public et professionnel sur l’éducation des enfants, ainsi que dans la culture de façon plus générale, particulièrement en Amérique du Nord et au Royaume-Uni. Un petit nombre de travaux sociologiques ont mis en évidence le caractère paradoxal de ce phénomène, qui réside dans une inquiétude souvent exagérée envers l’investissement « excessif » de ces parents dits « hélicoptères » auprès de leurs enfants, au sein même d’une culture de la parentalité intensive. Cet article développe ces travaux de deux manières. Nous resituons d’abord l’utilisation désormais omniprésente du terme « parent hélicoptère » et les qualificatifs qui y sont associés en examinant ses antécédents discursifs dans la terminologie du XXe siècle — comme l’overparenting (surparentalité), le smothering (parent poule ou parent qui couve) ou le coddling (dorlotement) — et en soulignant leur coexistence avec les récits de « mauvaises mères », considérées comme distantes et non impliquées. Ensuite, en analysant l’utilisation du terme helicopter parent faite dans les médias britanniques depuis la fin du XXe siècle, nous analysons comment se construisent les préoccupations actuelles concernant le surinvestissement des parents dans l’éducation de leurs enfants. Nous avons observé que les thèmes les plus récurrents de la couverture médiatique concernaient l’amour parental qui a mal tourné (gone wrong), la pression parentale (parental pushiness), ainsi que la classe sociale du parent hélicoptère. Notre analyse suggère que l’expression « parent hélicoptère » peut être mieux comprise comme un aspect du langage vernaculaire du XXIe siècle qui exprime une certaine aversion envers les résultats perçus d’une parentalité intensive, mais qui laisse intactes les prémisses concernant la responsabilité parentale en matière de pathologies individuelles et sociales. Nous concluons que, pour les sociologues, une caractéristique importante du parent hélicoptère est qu’il est généralement perçu comme un parent « à problèmes » issu de la classe moyenne, et nous suggérons que cette construction de l’origine sociale des défaillances parentales est une question importante à prendre en considération à l’avenir dans les études sur la culture de la parentalité.
Mots-clés : parent hélicoptère, parentalité intensive, classe, amour
Abstract
The term ‘helicopter parent’ has become highly visible in public and professional commentary about parenting and in culture more generally, notably in North America and the UK. A small body of sociological work has highlighted the paradox of this phenomenon, given by often dramatised expressions of concern with ‘excessive’ parental involvement with children associated with the term, within a culture of intensive parenting. This article builds on this work in two ways. We situate the now ubiquitous description of parental mistakes as ‘helicoptering’ by discussing discursive antecedents of the present label found in 20th century terminology such as ‘overparenting’, ‘smothering’ and ‘coddling’, noting their co-existence with accounts of ‘bad mothers’ as distant and uninvolved. Second, through analysis of the term ‘helicopter parent’ in the British news media in the late 20th and 21st centuries, we assess how present concerns with parental proximity to children are constructed. We found the most prominent themes in media coverage to be parental love ‘gone wrong’, parental ‘pushiness’, and the class position of the helicopter parent. We suggest our analysis shows the ‘helicopter parent’ can be best understood as an aspect of 21st century vernacular, expressing recoil at the perceived outcomes of intensive parenting, but leaving its basic premises regarding parental culpability for individual and social pathologies intact. We conclude that, for sociologists, an important feature of the helicopter parent term is the characterisation of problem parents as middle class and suggest this construction of the cause of parental deficiencies is an important concern for the study of parenting culture going forward.
Keywords: helicopter parent, intensive parenting, class, love
« L’amour, c’est (pas) de leur âge » : styles d’éducation sentimentale et rapports socialement différenciés des enfants aux sentiments amoureux
Kevin Diter
|
Résumé
Malgré la prédominance de l’amour dans la vie quotidienne des personnes, on ne connaît pas ou peu de choses sur la manière effective dont l’amour s’impose aux individus dès leur plus jeune âge. Rien n’est dit ou presque de la genèse des sentiments amoureux, laissant ainsi la quasi-totalité de ce champ de recherche aux soins d’autres disciplines scientifiques qui ont tendance à naturaliser cette question. À partir d’une enquête de terrain d’un an réalisée auprès de parents et d’enfants, cet article s’attache à dépeindre les styles d’éducation sentimentale des familles et, plus précisément, leur contenu, leur administration et la façon dont ces derniers varient selon les propriétés sociales des parents. Nous mettons en évidence l’existence de plusieurs formes ou types d’éducation à l’amour qui se situent sur un continuum entre deux pôles idéaux typiques : le premier, la culture des sentiments, se caractérise par un intérêt et un investissement précoces des mères comme des pères pour la vie sentimentale des enfants ; le second est, quant à lui, davantage basé sur le « laisser-faire ». Les parents pensent que l’amour est quelque chose de naturel, qu’il s’agit d’un sentiment (adulte et féminin) qui ne s’apprend pas, mais s’expérimente. Il viendra au moment de l’adolescence et du développement des hormones. Ces différents styles d’éducation sentimentale ne se retrouvent pas au hasard des familles : ils sont socialement situés et dépendent principalement de la définition légitime de l’amour en vigueur dans un milieu social donné, et des normes de genre sur lesquelles elle repose.
Mots-clés : amour, styles d’éducation, relations parent-enfant, différenciations sociales
Abstract
Despite the predominance of love in people’s everyday lives, whether in cultural productions or in ordinary discussions, little is known about the actual way in which love comes to individuals from their earliest childhood. Nothing is said on the question of the genesis of romantic feelings, leaving almost the entire research field to the care of other scientific disciplines that tend to naturalize it. Based on a yearlong field survey, this article attempts to depict the styles of sentimental education of families, and more precisely their content, their administration and how they vary according to the cultural and economic resources of the parents. We highlight the existence of several forms or types of sentimental education that lie on a continuum between two ideal-typical poles: the first is characterized by a culture of feelings, an early interest and investment of mothers and fathers in children’s sentimental life; while the second is more based on “laisser-faire”. Parents think that love is something natural, a (adult and female) feeling that is not learned, but experienced: it will come one day, during adolescence and the development of hormones. These different styles of sentimental education are not randomly distributed within families. They are socially located and depend mainly on the legitimate definition of love in a given social context, and the gender norms on which it is based.
Keywords : love, parenting styles, parent-child relationships, social differentiations
Le rôle des réseaux sociaux en ligne dans les choix scolaires alternatifs
Amélia Legavre et Pauline Proboeuf
|
Résumé
Les choix scolaires dits « alternatifs » se développent en France depuis quelques années. Nous nous intéressons dans cet article à l’influence des réseaux en ligne sur ces choix. L’article s’appuie sur le croisement de données variées ayant permis le recueil du discours de parents au sujet des choix scolaires alternatifs : prises de parole lors d’événements publics, entretiens biographiques, conversations informelles, questionnaires en ligne, observation de forums en ligne. Les réseaux en ligne constituent une vitrine des possibles éducatifs, et permettent le développement de réseaux affinitaires de parents. Les parents accèdent ainsi à des informations qui ne sont pas disponibles au sein de leur entourage proche, les réseaux en ligne relayant les témoignages d’usagers, mais aussi des informations sélectionnées et filtrées par des pairs afin de coller au plus près à leurs besoins pour procéder au choix scolaire. Sans minimiser les prédispositions des parents interrogés, nous concluons à un renforcement et à une confirmation des orientations éducatives par l’usage de ces réseaux.
Mots-clés : sociologie, choix scolaires, parentalité, alternatives, visées expressives
Abstract
For a few years, France has witnessed the development of so-called “alternative” schooling choices. In this article, we focus on the influence of online networks upon these choices. This article is based on various data collecting parents’ speeches: public speaking, biographical interviews, informal conversations, online surveys and observation of online forums. We highlight the role of the Internet as a showcase of educative and schooling possibilities and detail the development of parental peer groups. Parents have access to new information, not otherwise available in their close circle, through users’ testimonies, but also selected and filtered by peers in order to match their needs as closely as possible in order to make school choices. Without omitting parental predispositions in the decision-making process, there is a reinforcement and confirmation of their educative orientations by these peer groups.
Keywords : sociology, schooling choices, parenting, alternatives, expressive goals
« Supporting the Sacred Journey » : les histoires causales et le « problème » de la parentalité autochtone
Ashley Frawley
|
Résumé
Cet article explore les « histoires causales » (Stone, 1989) dans la construction des problèmes sociaux vécus par les peuples autochtones canadiens, et ce, par l’intermédiaire de six documents portant sur les familles autochtones et la parentalité, produits par divers organismes officiels. Deux thèmes récurrents ont été identifiés dans ces histoires causales : « la dépossession culturelle à travers la rupture » et « la parentalité en tant que source de problèmes ». Les solutions tendent à se concentrer sur le développement de la force par le soutien et le renouveau culturel, ce dernier point passant par des discours thérapeutiques et des conseils aux parents ancrés dans une perspective euroaméricaine dominante et glocalisée. Il est avancé ici que l’attention est alors potentiellement détournée des inégalités matérielles, tandis que les discours thérapeutiques et sur la parentalité, discours qui sont glocalisés, peuvent agir comme un cheval de Troie permettant d’intervenir davantage dans la vie familiale et de mieux la surveiller.
Mots-clés : parentalité autochtone, problèmes sociaux, glocalisation, études sur la culture parentale
Abstract
This article explores “causal stories” (Stone, 1989) in constructions of social problems experienced by Canadian Indigenous peoples in six documents focusing on Indigenous families and parenthood produced by a variety of official agencies. Two recurrent themes in causal stories were identified: “cultural deprivation through disruption” and “parenting as root of problems”. Solutions tended to focus on building strength through support and cultural renewal, the latter appearing as glocalised mainstream Euro-American therapeutic discourses and parenting advice. It is argued that attention is potentially deflected from material inequalities, while glocalised therapeutic and parenting discourses may act as a Trojan horse for greater intervention into and monitoring of family life.
Keywords : indigenous parenting, social problems, glocalisation, parenting culture studies
Section 2 - L'état et la parentalité
« Bons parents » et « enfants bien-aimés » : parentalité intensive et pratiques quotidiennes dans les services d’aide à l’enfance en Hongrie
Alexandra Szőke
|
Résumé
Cet article examine comment les transformations des idéaux de parentalité ont modifié les services d’aide à l’enfance en Hongrie au cours des dix dernières années. Plus particulièrement, il se penche sur l’influence du déterminisme parental et de la parentalité intensive sur les pratiques quotidiennes des travailleurs sociaux. Jusqu’à récemment, les services d’aide à l’enfance ciblaient principalement les familles pauvres et peu éduquées (le plus souvent d’origine rom) en évaluant la satisfaction des besoins matériels des enfants. À partir d’une recherche ethnographique, cette étude montre l’influence qu’exerce une nouvelle culture de la parentalité sur la façon dont les travailleurs sociaux évaluent les compétences parentales, sur les raisons justifiant les procédures de retrait d’enfants et, enfin, sur les relations que les travailleurs sociaux entretiennent avec les parents de milieux sociaux différents. Nous défendons l’hypothèse selon laquelle ces décisions sont fortement influencées par des idéaux de « bonne » enfance et d’enfance « optimale », des normes dominantes de parentalité, des conceptions sur ce qu’est un « bon » parent et des notions de mérite. Alors qu’auparavant la négligence était essentiellement évaluée d’un point de vue matériel, l’accent est mis désormais sur la présence d’un lien émotionnel fort dans la relation parent-enfant. Toutefois, comme cette recherche le démontre, il s’agit là de notions extrêmement subjectives et fluctuantes, qui servent le plus souvent à renforcer des convictions personnelles, ainsi que des valeurs dominantes sur la parentalité, le mérite et l’appartenance sociale.
Mots-clés : aide à l’enfance, protection de la jeunesse, parentalité intensive, travailleurs sociaux, Hongrie
Abstract
The current paper examines how transforming ideals of parenting have changed child welfare services in Hungary during the past decade or so. More specifically, it uncovers the ways parental determinism and intensive parenting have influenced caseworkers’ everyday practices as well as their relation to parents of different social and ethnic background. Until recently, child welfare services particularly focused on poor, uneducated (often Roma) families and assessed the fulfilment of material needs of children. Based on a year-long ethnographic research, the paper shows how the new parenting culture have changed caseworkers’ assessment of parental competence, the explanations for initiating child removals and ultimately their relations to parents of different social background. I argue that these decisions are largely influenced by ideals of “good/optimal” childhood, dominant parenting norms, conceptions about who are “good” parents, and dominant ideas of deservedness. While earlier neglect was assessed mostly in material terms, currently a strong emotional parent-child relationship is promoted. However, as my research shows, these are extremely subjective and fluid notions that are often used to reinforce personal convictions and dominant values about parenting, deservedness and social belonging.
Keywords : child welfare, child protection, intensive parenting, caseworkers, Hungary
Gouverner en tant que pairs (governing as peers) : experts réticents et parents compétents au sein de l’État-providence suédois
Lisa Eklund et Åsa Lundqvist
|
Résumé
Ces dernières années, le soutien parental a gagné en importance dans l’État-providence suédois, tant sur les plans politique que pratique. D’un côté, la parentalité, jugée déterminante pour l’avenir de l’enfant, nécessite connaissances et expertise. De l’autre, les parents sont aussi perçus comme des experts de leur propre enfant. Cet intrigant paradoxe est le sujet de cet article.
Sur la base d’entretiens effectués avec les acteurs du milieu du soutien parental, nous observons que ces derniers peuvent être qualifiés d’« experts réticents » parce qu’ils sont soucieux de respecter l’autonomie des parents et de ne pas paraître paternalistes. Cependant, selon eux, la suppression du rôle d’expert peut également être une stratégie pour attirer davantage de parents et favoriser l’éclosion du « parent compétent ».
Il a été affirmé que l’« expert réticent » et le « parent compétent » ne peuvent être bien compris que si les pratiques de soutien parental sont considérées comme une forme de microtechnologies destinées à gouverner les parents dans un cadre néolibéral, en mettant l’accent sur le contrôle indirect et horizontal de la parentalité et des familles. Nous proposons de conceptualiser cela avec l’expression « gouverner en tant que pairs » (governing as peers). Le cadre néolibéral se caractérise également par le fait que les problèmes et les solutions sont circonscrits aux niveaux individuel et familial, plutôt qu’au niveau structurel, ce qui implique une responsabilisation des parents.
Mots-clés : soutien parental, experts, gouvernementalité, gouverner en tant que pairs, Suède, État-providence
Abstract
In recent years, parenting support has gained traction in the Swedish welfare state in both policy and practice. Parenting is seen as determining child outcomes and are thus in need of knowledge and expertise. Yet, at the same time, parents are conceptualised as experts of their own child. The intriguing paradox between parents being experts while at the same time being in need of parenting support is the topic of this article.
Based on interviews with parenting support actors, we identify that parenting support actors are “reluctant expert”, keen to respect the autonomy of parents and careful not to appear paternalistic. However, according to the parenting support actors interviewed in this study, suppressing the expert role can also be a strategy to attract more parents and to foster the self-realisation of the “competent parent”.
It is argued that the “reluctant expert” and the “competent parent” can only be understood if parenting support practices are viewed as a form of micro-technologies for governing parents within a neoliberal frame, emphasising indirect and horizontal steering of parenthood and families. We propose to conceptualise this as “governing as peers”. Typical for the neoliberal frame is also that both problems and solutions are identified at the individual and family level, rather than the structural level, which infers a responsibilisation of parents.
Keywords : parenting support, experts, governmentality, governing as peers, Sweden, welfare state
Suivre (ou non) les recommandations sur l’allaitement : récits de mères espagnoles
Marta Dominguez-Folgueras
|
Résumé
L’OMS décrit l’allaitement maternel comme « le moyen normal de fournir aux nourrissons les nutriments dont ils ont besoin pour une croissance saine » et recommande l’allaitement au sein exclusivement et à la demande pendant les six premiers mois de l’enfant. Ces recommandations portant sur l’alimentation du nourrisson s’inscrivent dans un paradigme de santé spécifique qui responsabilise les individus et met l’accent sur la prévention des risques, un paradigme qui rejoint également l’idée du déterminisme parental. Les recherches menées dans les pays anglo-saxons montrent que l’allaitement est devenu un impératif moral pour les mères, souvent lié à une idéologie du maternage intensif. Le but de cet article est double. Nous examinerons d’abord si la norme de l’allaitement est dominante en Espagne. Dans un deuxième temps, nous analyserons les écarts à la norme et verrons de quelle manière ces écarts sont justifiés et vécus par les mères. Notre étude se fonde sur des entretiens qualitatifs menés auprès de 56 mères espagnoles en couple hétérosexuel, où les deux partenaires sont actifs sur le marché du travail, lesquelles ont été interrogées avant et après la naissance de leur premier enfant. Les entretiens avec ces femmes montrent que l’allaitement au sein est en effet perçu comme l’idéal pour les bébés, mais que les mères qui s’écartent de la norme utilisent des logiques de justification diverses, dont certaines remettent en question les principes du maternage intensif.
Mots-clés : allaitement, maternité, parentalité, entretiens, Espagne
Abstract
The WHO describes breastfeeding as “the normal way to provide infants with the nutrients they need for healthy growth” and recommends breastfeeding exclusively on demand for the first six months of the baby. These recommendations on infant feeding are part of a specific health paradigm, which attributes responsibility for health to individuals and emphasizes risk prevention, a paradigm which also joins the idea of parental determinism. Research carried out in Anglo-Saxon countries shows that breastfeeding has become a moral imperative for mothers, and often linked to an ideology of intensive mothering. The aim of this article is twofold: We will first examine whether the standard of breastfeeding is dominant in Spain. Next, we will analyse deviations from the norm and how these deviations are justified and experienced by mothers. Our study is based on qualitative interviews with 56 Spanish mothers in heterosexual couples where the two partners are active in the labour market, interviewed before and after the birth of their first child. Interviews with these women show that breastfeeding is indeed perceived as ideal for babies, but mothers who deviate from the norm use various rationales, some of which question the principles of intensive motherhood.
Keywords : breastfeeding, motherhood, parenting, interviews, Spain
Section 3 - Intervention locale et parentalité
Mixer le social? Intervention et exercice de la parentalité dans un contexte de gentrification à Montréal
Annabelle Berthiaume
|
Résumé
La « mixité sociale » fait partie des stratégies des pouvoirs publics pour déconcentrer les quartiers pauvres et favoriser une plus grande cohésion sociale entre les habitant-es issu-es de divers milieux sociaux, culturels et économiques. Alors que la ville fait face à un contexte de gentrification, où des populations plus aisées s’installent dans des quartiers populaires, les politiques de mixité sociale veulent maintenir l’accès à la ville des populations issues de toutes les catégories sociales. Si ce phénomène et ses impacts sur les coûts des logements ou des produits de consommation sont relativement bien documentés, nous en savons encore très peu sur la mise en oeuvre de la mixité en intervention sociale et, plus particulièrement, dans les services entourant le développement de la petite enfance et le soutien à la parentalité. Cet article s’appuie sur une enquête ethnographique combinant une analyse documentaire, des observations, 16 entrevues avec des mères fréquentant les services publics et communautaires qui mettent en place les politiques de soutien à la parentalité et de développement de l’enfant, ainsi que 14 entrevues avec des intervenant-es qui travaillent dans ces structures. L’analyse permet d’observer le fait que le projet de mixité sociale, s’il a pour qualité de promouvoir l’inclusion et l’accès universel de toutes les mères à ces services, pose certaines limites pratiques. Paradoxalement, il ne permet pas à certaines mères, et particulièrement aux plus pauvres et aux plus marginalisées, de rester incluses dans les services qui leur sont pourtant destinés.
Mots-clés : mixité sociale, organisme communautaire, gentrification, soutien à la parentalité, modeling parental, intervention, travail social
Abstract
“Social mix” or “diversity” is part of public authority strategies to diversify poor neighbourhoods and to promote greater social cohesion between inhabitants of various social, cultural and economic backgrounds. In the context of gentrification, where more affluent populations settle in traditionally poor neighbourhoods of the city, social mix policies aim to maintain access to the city for people of all social categories. Although this phenomenon and its impacts are relatively well documented related to housing and the consumer goods sectors, we still know very little about how social mix affects social intervention, and more particularly, services around early childhood education and parenting support. This article is based on an ethnographic study combining document analysis, participant observations, 16 interviews with mothers who used public and community services meant to support parenting and child development and 14 with frontline and community workers. My observations suggest that the project of social mix, while it aims to promote inclusion and universal access of all mothers to services, it has certain practical limitations. Paradoxically, it discourages some mothers, especially the poorest and the most marginalized ones, from remaining connected to the services intended for them.
Keywords: social mix, community organization, gentrification, parenting support, parental modeling, social work, intervention
La circulation des enfants au sein du champ médico-scolaire local dans un quartier populaire en France
Jean-Marc Goudet
|
Résumé
Comment expliquer les hétérogénéités de trajectoires médico-scolaires d’enfants scolarisés au sein d’un quartier populaire de métropole dans la France contemporaine ? La régulation des populations enfantines ne se ferait plus uniquement par le contrôle des familles, mais par la prise en compte des critères biomédicaux individuels qui a pour corollaire une production de nouvelles catégories enfantines et le développement d’un marché paramédical libéral. Cela concorde avec l’émergence des « troubles des apprentissages », qui explosent depuis les années 2000 en écho aux lois relatives au handicap et à l’inclusion scolaire. À partir d’une enquête ethnographique menée de 2017 à 2019 dans les institutions médico-scolaires d’un quartier de métropole, cet article montre l’articulation des paradigmes neuroscientifiques et du déterminisme parental chez les professionnels, les parents, ainsi que leurs effets sur les trajectoires enfantines. Les stratégies parentales, enfantines et professionnelles sont analysées à partir d’études de cas d’enfants, et en croisant des matériaux issus des données d’observation en cabinet d’orthophonie et dans un centre de médecine scolaire avec des entretiens réalisés auprès des mères. Cet article met en évidence deux principaux résultats, d’une part l’extension du paradigme neuroscientifique au champ de l’enfance et de la scolarité avec la création d’un « champ médico-scolaire local », et d’autre part l’émergence d’une « nouvelle hygiène scolaire » construite à partir des normes biomédicales et des critères scolaires. Cette circulation de populations enfantines témoigne du processus de tri lié à la production de nouvelles catégories médico-scolaires qui influencent de manière inédite les trajectoires médico-scolaires dans un contexte d’injonction à la réussite scolaire.
Mots-clés : paradigme neuroscientifique, déterminisme parental, troubles des apprentissages, hygiène scolaire, orthophonie
Abstract
How to explain the heterogeneity of medical-school trajectories of children attending school in a working-class district of a metropolis in contemporary France? The regulation of child populations would no longer be done solely through families’ control. Yet, it would consider individual biomedical criteria that product new child categories and the development of a liberal paramedical market. This is in line with the emergence of “learning disorders,” which have exploded massively since the 2000s, in response to the laws on disability and inclusive education. Based on an ethnographic survey conducted from 2017 to 2019 in medical-school institutions in a district of France, this article shows the articulation of the neuroscientific paradigm and parental determinism by professionals, parents, and their effects on child trajectories. Parental, child and professional strategies are analyzed through child cases. A cross-reference was performed using observational data from speech therapy offices, a school medical center and in-depth interviews with mothers. This article highlights two main results. First, an extension of the neuroscientific paradigm applies to childhood and schooling with the creation of a “local medical-school field.” Second, the emergence of a “new school hygiene” built on biomedical standards and school criteria. This flow of child populations testifies to the sorting process linked to the production of new medical-school categories. Such process has an unprecedented impact on medical-school trajectories in the context of injunctions to academic success.
Keywords : neuroscientific paradigm, parental determinism, learning disabilities, school hygiene, speech therapy
De la « coéducation » à la « démission parentale » : le discours sur les parents dans un projet pédagogique expérimental français (1970-2000)
Marie-Charlotte Allam
|
Résumé
Cet article étudie les discours sur la socialisation et sur les pratiques éducatives familiales chez les enseignants d’écoles expérimentales d’un quartier populaire en France. Il analyse la manière dont se structure, des années 1970 aux années 2000, un discours sur les parents qui porte un jugement sur certaines catégories de familles. À l’aide d’entretiens biographiques avec des enseignants du quartier et des archives publiques et privées, le texte interroge la tension entre le projet d’école alternatif qui attribue à l’éducation parentale un rôle dans l’émancipation des enfants, et l’émergence chez les enseignants d’un discours dépréciatif sur certains modes de socialisation familiale. Il montre que, dès le départ, les instruments de concertation et de participation des parents sont peu ou pas investis par les parents issus de milieux populaires. Ce phénomène s’exacerbe dans les années 1980, tandis que le quartier se paupérise et que la pérennité de l’expérience pédagogique est menacée par des changements institutionnels et politiques. L’émergence d’un discours sur la « démission parentale » chez les enseignants témoigne alors d’une distance sociale croissante et d’un désajustement des attentes éducatives entre parents et enseignants.
Mots-clés : coéducation, pédagogies alternatives, participation, quartiers populaires, relations parents-enseignants
Abstract
This article deals with teachers’ discourses on parental education in French alternative schools of a popular suburban neighborhood, between the 1970s and the 2000s. It shows that, in order to fight against social inequalities, this educational project aims at orienting parents’ educational behavior and expresses a moral judgment on parental education. The analysis relies on qualitative interviews conducted with former teachers and a collection of public and private archives about the alternative pedagogical project. It questions the tension that arises between teachers’ political and pedagogical emancipation project (who use critical pedagogies and oppose the educational system) and popular parents’ expectations (who wish educational achievement for their children). While teachers’ principle of “coeducation” aims at engaging parents in school activities and functioning, disadvantaged parents are excluded from participation in these initiatives. This tension raises overtime. As the neighborhood’s impoverishes in the 1980s, teachers’ discourse on parents evolves, and points parental “abdication” as an obstacle to their alternative pedagogical practices. This discursive shift reveals the increasing social gap between teachers and popular parents.
Keywords : coeducation, alternative pedagogies, participation, popular neighborhood, teacher-parent relationships
Note de recherche
L’émergence de nouvelles normes de parentalité dans le cadre de la politique familiale russe
Svetlana Russkikh
|
Résumé
Dans un contexte de politique familiale visant à enrayer la crise démographique, l’État russe des années 2010 s’engage dans une campagne valorisant certaines valeurs familiales explicitement qualifiées de « traditionnelles », campagne associée à une politique du bien-être de l’enfant. En m’appuyant sur la documentation officielle, sur les données du Service fédéral des statistiques d’État russe (Rosstat) et sur les résultats de mon enquête de terrain réalisée dans trois régions en Russie, je montre de quelle manière cette norme est définie et appliquée, et dans quelle mesure on peut considérer qu’elle a une influence sur les comportements familiaux.
Mots-clés : politique familiale, politique publique, norme de parentalité, « capital maternel », famille, Russie
Abstract
In a context of family policy aimed at curbing the demographic crisis, the Russian State of the 2010s is embarking on a campaign to promote certain family values explicitly described as “traditional” and associated with a child welfare policy. Based on official documentation, Federal Service of State Statistics of Russia (Rosstat) data and the results of my field research, I show how this standard is defined and applied, and to what extent it can be considered to influence family behaviour.
Keywords : family policy, public policy, standard of parenthood, « maternal capital », family, Russia