#80 | Citoyenneté des enfants et des jeunes
Sommaire
Introduction
Introduction : citoyenneté des enfants et des adolescents
Stéphanie Gaudet
Les représentations sociales de la citoyenneté des jeunes dans les politiques publiques
Comprendre l’instrumentation des questions de citoyenneté dans les politiques d’éducation et de jeunesse : une typologie des dispositifs d’action publique
Valérie Becquet
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Résumé
Que ce soit au niveau européen qu’au niveau national, les enjeux relatifs à la citoyenneté des jeunes sont présents dans les débats publics et donnent lieu à la mise en place de dispositifs spécifiques. L’ancienneté et la récurrence de la mise à l’agenda de cette question invitent à réfléchir sur les dynamiques de l’action publique. Cet article propose une typologie des dispositifs progressivement développés dans deux secteurs publics qui interviennent auprès des jeunes : l’éducation et la jeunesse. En mobilisant une approche par les instruments d’action publique, il met en évidence que les choix opérés par les décideurs publics pour traiter des questions de citoyenneté conduisent à une multiplication et à une diversification des dispositifs. Cette prolifération interroge la lisibilité de l’action publique : si les dispositifs peuvent apparaître complémentaires et constituer une opportunité pour les jeunes, ils peuvent aussi entrer en tension. Dans un contexte de renouvellement générationnel du corps électoral, elle invite également à réfléchir sur les conséquences sur les pratiques des jeunes et sur la construction de leur représentation de la citoyenneté.
Mots-clés : citoyenneté, éducation, jeunesse, politique publique, instrument d’action publique
Abstract
Whether at European or at national level, issues relating to the citizenship of young people are present in public debates and give to the implementation of specific tools. The past and the recurrence of setting up this issue on the agenda invites to reflect on the dynamics of public action. This article presents a typology of the tools gradually developed in two public sectors that concern young people: education and youth. Based on a policy instrument choice approach, it highlights that the choices made by public decision-makers to deal with citizenship issues lead to a multiplication and a diversification of the tools. This proliferation introduces suppose to reflect on the legibility of public action: if those mechanisms can be seen as complementary and as an opportunity for young people, they can also enter into tension. In a context of generational renewal of the electorate, it also calls for reflection on the consequences for young people’s practices and on the building of the perception of citizenship.
Keywords: citizenship, education, youth, public policy, policy instrument
Articuler éducation aux médias et citoyenneté : une analyse du Programme de formation de l’école québécoise préscolaire-primaire
Normand Landry et Chantal Roussel
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Résumé
Au Canada, le faible niveau de connaissance des contenus en éducation aux médias véhiculés par les curricula scolaires proscrit leur évaluation critique. Cet article présente les façons selon lesquelles l’éducation aux médias est introduite dans le Programme de formation de l’école québécoise (PFEQ) des niveaux préscolaire et primaire. Plus spécifiquement, il témoigne des articulations entre éducation aux médias, enfance et citoyenneté. La méthode utilisée procède au repérage et à l’extraction d’énoncés associés aux technologies de l’information et de la communication (TIC) et aux médias, puis à leur classement en quatre catégories principales : discours, verbes témoignant des actions de chaque catégorie d’acteurs (école, élève, enseignant), objets d’apprentissage et suggestions d’utilisation des TIC. Une classification permet de faire émerger les verbes et les objets d’apprentissage référant à la notion de citoyenneté en utilisant la définition et les composantes associées. Ces derniers sont ensuite soumis à une analyse de discours. Notre analyse fait émerger les discours véhiculés par le PFEQ sur les médias et les TIC. Elle met en exergue les rôles, les tâches et les responsabilités des différents acteurs en lien avec l’acquisition de connaissances et le développement de compétences. En outre, elle présente les actions menées par ces acteurs afin d’opérationnaliser les intentions pédagogiques du programme. La conclusion montre un faible ancrage disciplinaire des énoncés traitant de l’éducation aux médias et à la citoyenneté, des contenus pertinents, mais limités thématiquement, ainsi qu’une représentation de l’élève en tant qu’individu capable de réflexion et de pensée critique.
Mots-clés : éducation aux médias, curriculum, citoyenneté, Programme de formation de l’école québécoise
Abstract
In Canada, the limited level of knowledge on media education content that is conveyed by academic curricula hinders its critical evaluation. This article presents the ways in which media education is introduced in the Quebec Education Program (QEP) at the preschool and elementary level. More specifically, it highlights the connections at work between media education, childhood and citizenship in the program. Our method tracks and extracts a set of statements related to information and communications technologies (ICTs) and the media, then conducts their automated classification into four principal categories: speech, verbs used that reflect the actions undertaken by categories of actors (school, pupils, teachers), learning objectives and suggestions. A subsequent classification allows for the emergence of verbs and learning objectives associated to the notion of citizenship. The latter are then subject to speech analysis. Our analysis intends to demonstrate the message conveyed by the QEP on media and ICTs. It highlights the roles, tasks and responsibilities of its various actors in relation to the acquisition of knowledge and skill development. In addition, it features the actions taken by these actors to operationalize the academic goals of the program. Our conclusion indicates a low subject implementation of the statements associated to media education and citizenship, relevant content, although thematically limited, along with the conception of students as capable of a reflection and critical thinking process.
Keywords: media education, curriculum, citizenship, Quebec Education Program
La citoyenneté des adolescents du 21e siècle dans une perspective de justice sociale : pourquoi et comment?
Caroline Caron
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Résumé
Comment sait-on ce que l’on sait sur la citoyenneté des adolescents et leurs pratiques de participation civique ? Cette question épistémologique a été négligée dans les écrits traitant de l’engagement civique et de la participation politique des jeunes. Cet article utilise la perspective théorique de la justice sociale pour examiner le rôle que jouent les rapports sociaux fondés sur l’âge dans la production de connaissances qui offrent un portrait pessimiste du rapport des jeunes à la politique. L’analyse montre que l’injustice épistémique et la validation empirique déficiente des connaissances à propos de la compétence civique appellent une théorisation alternative, précisément inclusive, de la citoyenneté des jeunes. L’analyse souligne aussi que l’avènement du Web social a créé de nouveaux besoins de connaissances que les cadres de recherche établis par tradition peinent à satisfaire. Un premier pas vers la production de connaissances socialement justes au sujet des compétences civiques des adolescents à l’ère du Web social consiste à analyser les fondements épistémologiques des approches de recherche prédominantes afin de susciter des échanges fructueux au sujet des critères normatifs qui devraient guider la confection des protocoles de recherche dans le futur.
Mots-clés : Adolescents, Citoyenneté, Engagement civique, Participation politique, Socialisation politique, Compétence civique, Méthodes de recherche, Justice sociale, Théorie critique, Injustice épistémique, Web social, Adultisme
Abstract
How do we know what we know about youth citizenship ? This epistemological question has been neglected in the field of youth citizenship and public discourses on youth political apathy. This article draws on the theoretical perspective of social justice studies to unmask the relations of power based on age that have shaped current knowledge about youth citizenship. The analysis draws attention to the epistemic injustices and methodological flaws in the specific field of civic literacy in Canada. It is argued that a difference-centered approach to youth citizenship could help foster a better understanding of youth experiences of civic engagement and political participation. Yet, this potentiel can only be achieved through a self-reflexive inquiry that critically investigates the research process itself in current research trends. Although a dominant approach in the study of civic literacy is limited in its capacity to produce knowledge that is socially just towards adolescents, te concept could be reinvigorated through a critical empirically-grounded examination of youth civic competencies that are evidenced in some of their engagments with new media technologies. Yet, to fulfill this goal also requires that scholars engage in crucial debates about their chosen epistemology and theory of democracy.
Keywords: Adolescents, Citizenship, Civic engagement, Political participation, Civic literacy, Political socialisation, Research methods, Social justice, Critical theory, Epistemic injustice, New media technologies, Adultism
Les institutions civiques de l’enfance et de l’adolescence
La formation du citoyen à l’école : individualisation et dépolitisation de la citoyenneté
Géraldine Bozec
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Résumé
Ce texte analyse les qualités et les figures du citoyen légitime dans la sphère de l’école, en s’intéressant à la fois aux directives officielles et aux représentations et pratiques des acteurs scolaires. Les données de deux enquêtes qualitatives conduites dans des établissements scolaires français sont ici mobilisées. Le regard porte prioritairement sur la dimension politique de la citoyenneté : le rapport de l’individu au pouvoir et sa capacité d’action dans la vie collective et politique. Globalement, la participation du citoyen apparait comme une dimension relativement secondaire dans l’éducation scolaire à la citoyenneté, au profit de l’autonomie intellectuelle du citoyen critique. L’école offre peu d’outils permettant aux élèves d’appréhender la vie politique, ses enjeux, ses acteurs et ses processus concrets. L’évitement des sujets politiques que l’on observe dans les classes renvoie non seulement à une conception particulière de la neutralité politique, mais aussi et surtout à l’objectif de cohésion qui est attribué officiellement à l’école et que les enseignants reconnaissent comme légitime. La citoyenneté est par ailleurs censée s’exprimer de plus en plus dans la vie même de l’établissement, dont les modes de fonctionnement doivent se rapprocher de la démocratie politique adulte. Le texte montre les limites d’une telle analogie entre la sphère scolaire et la société politique et identifie divers obstacles qui pèsent sur la mise en oeuvre de cette « démocratie scolaire ». Il met enfin en évidence le décalage entre l’insistance sur la figure d’un individu-citoyen dans l’espace scolaire et l’inscription dans des collectifs que suppose l’exercice réel de la citoyenneté.
Mots-clés : citoyenneté, éducation, école, socialisation politique, pouvoir, participation politique
Abstract
This text analyzes the features and the figures of the legitimate citizen in the sphere of school, through both official guidelines and school staff’s conceptions and practices. Data from two qualitative fieldwork surveys in French schools are used. The analysis focuses on the political dimension of citizenship: the relationship between individuals and power and their agency in collective and political life. Overall, citizens’ participation is a secondary dimension in school citizenship education, which rather emphasizes the intellectual autonomy of the critical citizen. The school hardly offers tools enabling students to understand political life, its issues, its actors and its concrete processes. The avoidance of political issues that is observed in classrooms is related to a particular conception of school political neutrality, but still more to the objective of cohesion officially attributed to school and recognized by teachers as legitimate. In other respects, citizenship is increasingly intended to be translated into the school life itself, whose modes of organization must move closer to those of adult political democracy. The article shows the limitations of such an analogy between the school and political society and identifies several obstacles that hinder the implementation of this “democratic school”. Lastly, it highlights the gap between the emphasis on the figure of individual citizen in the school space and the relationship to groups entailed by the actual practice of citizenship.
Keywords: citizenship, education, school, political socialization, power, political participation
Participation et exercice de la citoyenneté des élèves à l’école
Nathalie Bélanger
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Cet article retrace les courants théoriques qui permettent de penser l’enfant en tant que sujet et donne la parole aux enfants au sujet de leur expérience scolaire. Dans ce contexte, des programmes d’éducation à la citoyenneté sont apparus, sans toutefois que l’exercice de la citoyenneté des élèves et leur prise de parole soient pris en compte et valorisés. Pour y remédier, il s’agit d’interroger des élèves au sujet de ce que représente pour eux une école accueillante. La méthodologie recourt à une approche inductive et les données ont été recueillies à partir de l’administration d’un questionnaire conçu pour des enfants, d’observation et d’entretiens semi-dirigés. Les résultats montrent l’incidence de la culture de l’école et de la forme scolaire sur l’exercice de la citoyenneté des élèves, sur les thèmes qu’ils abordent, les soucis et les priorités qui sont les leurs. Plus les enjeux d’installation et d’intégration sont prédominants, moins l’exercice de la citoyenneté inclut de possibilités délibératives quant au fonctionnement scolaire.
Mots-clés : citoyenneté, participation, agentivité, enfance, éducation, francophonie
Abstract
This article first describes the evolution which allowed the child to be considered as an actor. In this vein, citizenship education programs at school are discussed, although they do not often take into account exercising citizenship in the school context and children’s voice. Research results from a broader project on how students represent their school experience in French-language schools in Ontario are analyzed specifically with respect to what a welcoming school means for them. The methodology uses an inductive approach and the data were gathered from administering a questionnaire designed for children, observation and semi-directed interviews. The results show the impact of school culture and school form on the exercise of students’ citizenship, the topics they address, their concerns and priorities. The greater the predominance of settlement and integration issues are, the less the exercise of citizenship includes deliberative opportunities regarding school functioning.
Keywords: Citizenship, participation, empowerment, childhood, education, francophonie
Citoyen·ne·s, mais pas encore adultes ? Les injonctions à la responsabilité et à la citoyenneté dans les rituels d’accession à la majorité en Suisse
Maxime Felder, Laurence Ossipow et Isabelle Csupor
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Les communes suisses organisent un rituel pour célébrer l’accession à la majorité civile et civique de leurs résident·e·s qui atteignent l’âge de dix-huit ans. Dans les six communes que nous avons étudiées, les autorités invitent les jeunes à participer à une séance du conseil communal, les convient à un repas ou un apéritif, ou leur organisent une soirée de témoignages, de spectacle ou encore de jeux en plein air. Ces événements font place à des discours dans lesquels des représentant·e·s des autorités enjoignent les jeunes à être de « bonnes » et « bons » citoyens. Si l’appel au vote est toujours le leitmotiv, les discours se centrent aussi sur des définitions plus larges de la citoyenneté, insistant tantôt sur l’engagement associatif et local, tantôt sur la nécessité d’agir pour l’écologie ou contre les inégalités. Le croisement de ces analyses avec celles des entretiens menés avec de jeunes participant·e·s fait émerger des tensions. En effet, les autorités s’adressent à des jeunes qu’elles ne considèrent pas tout à fait comme des adultes (et qui ne se considèrent pas non plus comme tel·le·s), qui sont pour certain·e·s déjà engagé·e·s dans ces formes de citoyenneté vernaculaire, et qui s’apprêtent à quitter leur commune pour étudier ou voyager. Ces promotions citoyennes permettent ainsi de mettre en scène l’intérêt des élu·e·s pour les jeunes, considéré·e·s comme des citoyen·ne·s en apprentissage dont dépend le renouvellement de la démocratie.
Mots-clés : jeunesse, citoyenneté, rituels, majorité, communes
Abstract
Swiss municipalities organize ceremonies for their residents reaching the official age of full citizenship. In the six studied municipalities, local authorities invite them to a municipal council’s meeting, offer them a dinner or an aperitif, or organize them a show and a debate with role models. Speeches are central to these ceremonies, and authority representatives encourage their audience to be “good” citizens. Call to vote is the leitmotiv, but discourses reveal broader definitions of citizenship, insisting sometimes on a local commitment and volunteering, and sometimes on the necessity to fight climate change and inequalities. Comparing officials’ speeches to statements of young people participating in these events reveals “tensions”. Indeed, authority representatives address young citizens without considering them as fully adult, and they do not consider themselves as such neither. However, some of them are already involved in forms of vernacular citizenship, and are progressively leaving the municipality to study, work or travel. Ultimately, these ceremonies allow officials to stage their interest in the youth, which they consider as both uncompleted and essential to the renewal of democracy.
Keywords: youth, citizenship, rituals, majority, municipality
Les pratiques citoyennes des enfants et des adolescents
Quand des adolescents font une vidéo sur la cyberintimidation : une action citoyenne?
Mathieu Bégin
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Résumé
La recherche présentée s’intéresse au problème de la cyberintimidation. Elle souhaite apporter une réponse à la question suivante : dans quelle mesure, chez les adolescents, la publication dans les médias sociaux d’une vidéo sur la cyberintimidation constitue-t-elle une action citoyenne ? En nous fondant sur la pensée du philosophe Habermas, nous définissions une action citoyenne comme un acte situé dans un contexte sociohistorique donné, qui entend répondre à un problème social précis, par la mobilisation de connaissances et de moyens techniques, et dont la finalité première doit être la transformation de la société. Trois entrevues individuelles et 14 groupes de discussion avec 75 adolescents fréquentant une maison de jeunes ont été menés. Leur analyse a permis de constater que les adolescents ne font pas de la transformation de la société une priorité lorsqu’ils produisent des vidéos sur une thématique sociale comme la cyberintimidation et qu’ils accordent peu d’importance à la nécessité de documenter le discours contenu dans leurs vidéos. Leurs productions vidéos ne peuvent donc pas être considérées comme des actions citoyennes au sens strict. Les résultats montrent aussi que les adolescents sont attirés par l’appropriation des langages et techniques vidéographiques et par la reconnaissance publique. Des priorités éducatives fondées sur ces constats sont proposées. Il est notamment suggéré d’intégrer des notions de base de psychologie sociale à tout enseignement relatif aux médias, puisque les adolescents tendent à penser que toute communication de masse ciblant une large population peut se traduire par un changement social rapide et à grande échelle.
Mots-clés : cyberintimidation, adolescents, action citoyenne, critique, éducation aux médias
Abstract
The research presented focuses on the problem of cyberbullying. It would like to provide an answer to the following question: To what extent the publication in social media of a video about cyberbullying among adolescents is a citizen action? Based on the thinking of the philosopher Habermas, we define a citizen action as an act situated in a given sociohistorical context, which aims to respond to a given social problem by mobilizing knowledge and technical means and whose primary purpose should be the transformation of society. Three individual interviews and 14 focus groups with 75 teenagers attending a youth center were conducted. Their analysis show that adolescents do not make the transformation of society a priority when they produce videos on a social theme such as cyberbullying and that they give little importance to the need of documenting the discourse content in their videos. Their video productions, therefore, can not be considered as civic actions in the strict sense. The results also show that adolescents are attracted by the appropriation of video languages and techniques and by public recognition. Educational priorities based on these findings are proposed. In particular, it is suggested to integrate basic notions of social psychology within any media related teaching, as adolescents tend to think that mass communication targeting a large population can result in rapid and widespread social change.
Keywords: cyberbullying, teenagers, citizen action, criticism, media education
Les chemins de la participation citoyenne des jeunes Kanak de Koné (Nouvelle-Calédonie)
Ève Desroches-Maheux
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Résumé
En partant d’un terrain ethnographique, cet article explore les formes et modalités de la participation « citoyenne » des jeunes Kanak vivant en province Nord, en Nouvelle-Calédonie. Étant à l’aube du référendum sur son accession à la pleine souveraineté, ce territoire français de statut sui gereris se situe à un moment charnière de son histoire. En préparation à cet événement, l’accord de Nouméa vint poser les bases d’une nouvelle citoyenneté néo-calédonienne située, pour le moment, à l’intérieur de la citoyenneté française. Cette citoyenneté en construction pose toutefois la question de la place qui y est accordée aux Kanak, peuple autochtone du territoire. Abordant la citoyenneté comme un ensemble de « processus de subjectivation politique », produisant une citoyenneté à la fois « déterminée par l’État et par les sujets qui la composent », nous explorerons les réponses et « tentatives de négociations » de jeunes Kanak envers cette dernière. Les résultats montrent que malgré les représentations négatives qui pèsent sur eux, les jeunes s’approprient les possibilités ouvertes par les politiques et les programmes publics dans l’espoir de faire entendre leurs doléances et de mettre en oeuvre des projets structurants. De plus, alors que ce type de pratiques citoyennes constituent un levier de résistance face à l’hégémonie française en province Sud pour les jeunes qui cherchent avant tout à y affirmer leur identité kanak, l’implication des jeunes du Nord dans l’espace public s’inscrit plutôt dans une démarche inclusive face aux autres communautés.
Mots-clés : Citoyenneté, Nouvelle-Calédonie, Jeunesse autochtone, Implication citoyenne
Abstract
Based on an ethnographic fieldwork, this article explores the forms and modalities taken by the civic participation of the Kanak youths living in Province Nord, New Caledonia. Being at the dawn of a referendum on its accession to a full sovereignty, this French territory of a sui generis status is now at a turning point in its history. In preparation for this event, the Nouméa Accord laid the foundations of a New-Caledonian citizenship, situated, for the moment, within the French citizenship. However, this citizenship in construction poses the question of the place given in it to the Kanak, the indigenous people of the territory. Approaching citizenship as a set of “political subjectivation processes” producing a citizenship simultaneously “determined by the state and by the subjects composing it ”, we explore the answers and “negotiation attempts” made by the Kanak youths toward it. Results show that despite some negative representations playing against them, the youths still appropriate possibilities opened up by public policies and programs in hope to make their grievances heard and to implement structuring projects. Furthermore, as those forms of civic practices are used as handles to resist French hegemony in Province Sud by youths that seek above all to strongly affirm their Kanak identities, north youth participation in the public space appears rather embedded in an inclusive approach toward other communities.
Keywords: Citizenship, New-Caledonia, aboriginal youth, citizen participation
L’insertion ? La capacitation ? Les interventions jeunesses de proximité
Promouvoir la « citoyenneté » dans les quartiers populaires : les professionnels du développement social urbain à l’épreuve des enfants et des jeunes
Benjamin Leclercq et Jeanne Demoulin
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Résumé
Cet article interroge les tensions qui régissent l’injonction à se comporter en citoyen dans les quartiers populaires en France. Plus spécifiquement, il s’intéresse aux pratiques des professionnels du développement social urbain, recrutés ou mandatés par des organismes HLM pour lutter contre les incivilités dont les enfants des locataires sont rendus responsables (dégradations, vandalisme…). Les interventions sociales conçues par ces professionnels à l’intention des enfants et des jeunes s’apparentent à des formes d’éducation à la citoyenneté qui oscillent entre normalisation des conduites et valorisation de l’engagement pour le bien commun. D’un côté, elles constituent des expériences susceptibles d’engendrer des questionnements profanes sur le vivre-ensemble dans la Cité. De l’autre, en demeurant tributaires d’une approche gestionnaire de l’espace public, elles résistent mal au simple rappel des normes élémentaires du savoir-vivre en société. Pour éviter cette approche morale de la citoyenneté, les agents cherchent alors à donner des capacités à leur public afin que celui-ci résolve de lui-même les problématiques auxquelles il est confronté. Ce travail participatif est redevable d’une conception capacitaire de la citoyenneté, impliquant une maîtrise préalable de la civilité. Il s’adresse ainsi aux jeunes les plus influents, les « grands frères » qui détiennent des compétences d’encadrement de leurs pairs. Les professionnels cherchent alors à leur donner des « codes » pour être reconnus comme partenaires des institutions. Mais ce partenariat implique d’acquérir des compétences d’adaptation aux façons de faire et de dire la politique locale qui n’autorisent pas ces jeunes à publiciser leurs critiques ordinaires du fonctionnement institutionnel.
Mots-clés : citoyenneté ordinaire, logement social, développement social urbain, participation, enfants, jeunes
Abstract
This article examines the tensions that govern the injunction to behave like a citizen in the working-class neighborhoods in France. More specifically, it focuses on recruited or appointed professionals of social urban development’s practices by social housing organizations, who fight against antisocial behavior of which the tenants children are made responsible (damages, vandalism and so on…). The social interventions designed by these professionals for children and young people are similar to forms of citizenship education that oscillate between normalization behavior and development of commitment to the common good. On the one hand, they are meant to be encounters that can lead to questioning about living together in the neighborhood. And on the other hand, because they want to keep a managerial approach of public spaces, they find it hard to resist to the simple reminder of the basic norms of living together in a community. To avoid this moral approach to citizenship, agents seek to empower their audience so that it thinks itself about how to solve the problems it faces. According to a capability-driven of citizenship, this participatory work implies to master the rules of civility. Consequently, it is aimed at the most influential young people, the “bigger brothers” with coaching skills. The professionals then seek to give them “codes” to be recognized as partners of the institutions. But this partnership involves acquiring some skills, indeed these young people will have to adapt the ways of doing and saying local politics without publicizing their ordinary critics of the institutional functioning.
Keywords: ordinary citizenship, social housing, social urban development, participation, children, young people
Les cadres de la participation citoyenne en milieu de vie : le discours des jeunes en difficulté
Elisabeth Greissler, Isabelle Lacroix et Isabelle Morisette
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Résumé
Répondant de leur mission ou d’une vogue participationniste, nombre d’organisations jeunesse québécoises, qu’elles soient institutionnelles ou communautaires, ont mis en place des dispositifs soutenant des processus de participation chez les jeunes en difficulté. À partir des résultats de trois recherches qualitatives en Centres jeunesse et au sein d’organismes communautaires jeunesse, la manière dont les jeunes en difficulté perçoivent et s’approprient ces espaces de participation est interrogée. S’appuyant sur le discours des jeunes engagés, et mobilisant la théorie de l’analyse des cadres, cet article montre que les modalités de construction de leur citoyenneté en milieu de vie ont la particularité d’être à la fois un objectif et un processus d’intervention. Le sens que les jeunes en difficulté accordent à leur participation se révèle dans leurs perceptions des espaces de participation proposés par les milieux de vie. Les rôles qu’ils développent reposent sur un travail de signification qui s’appuie sur la continuité de l’intervention ; les relations significatives ; et les pratiques démocratiques. Malgré des limites à cette participation suscitée, les jeunes ont le sentiment de développer des compétences et d’être acteurs grâce au contexte organisationnel de mobilisation en milieu de vie et au processus de cadrage réalisé quotidiennement par les intervenants.
Mots-clés : Participation citoyenne, jeunes en difficulté, cadres de participation, organisation communautaire, centres jeunesse, établissements scolaires, milieu de vie, rapports entre jeunes et intervenants, analyse de discours
Abstract
Responding to their mission or to a vogue of participation, many Quebec youth organizations, whether institutional or community based, have set up mechanisms to support participation processes for youth in difficulty. Based on the results of three qualitative research in youth protection centers and community organizations, we examine the question of how young people in difficulty perceive and appropriate these spaces of participation. Based on the discourse of young people involved in these spaces of participation and based on the frame analysis, this article shows that the approaches of citizenship in the living environment have the peculiarity of being both an objective and an intervention process. The meaning that the youth in difficulty give to their participation is revealed in their perceptions of the spaces of participation in living environments. The roles they develop are based on a work of framing process which rely on the continuity of the intervention; the meaningful relationships; and the democratic practices. Despite the limitations of this participation, young people feel they develop skills and the feeling of being an actor through the organizational context of mobilization in living environments and the framing process carried out daily by the participants.
Keywords: Citizen participation, youth in difficulty, Participation framework, Community organization, Youth center, school, Living environment, Relationships between youth and stakeholders, discourse analysis
La fabrique des « bons petits gars » : rugby éducatif et socialisation à la citoyenneté de la jeunesse populaire toulousaine
Jean-Charles Basson
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Résumé
Facteur structurel du système toulousain d’action publique dont il contribue à assurer la stabilité, le rugby tend à maintenir la dimension socio-éducative de celui-ci dans une forme d’entre-soi confinant à l’immobilisme. Adossée à la « grande famille du rugby » sans en être partie prenante, l’association socio-sportive Rebonds ! joue la différence et développe des actions éducatives sollicitant le rugby distinctes des clubs et de la logique fédérale. Prestataire des collectivités locales, elle intervient prioritairement auprès des établissements scolaires des quartiers populaires identifiés par la politique de la Ville. Concevant l’éducation comme une socialisation méthodique à même de permettre l’articulation des dispositions des jeunes rugbymen d’origine populaire à une variété de contextes fréquentés, elle oeuvre à la fabrication d’une citoyenneté du quotidien.
Mots-clés : Citoyenneté, jeunesse populaire, éducation, socialisation, système local d’action publique, rugby
Abstract
As a structural factor in the Toulouse system of public action and of which it continues to contribute to ensuring its stability, rugby tends to maintain the socio-educational dimension of the sport within the same circles which borders on inaction. Backed by the « big family of rugby », without being fully part of it, the socio-sports association Rebonds ! plays on its difference and develops educational actions calling upon the rugby that is distinctive of clubs and the federal logic. Serving the local community, the association intervenes mainly in schools located in working-class districts as identified by the City’s policy. Conceiving education as a methodical socialization process enabling young, working class rugbymen to articulate their dispositions to a variety of contexts encountered, this sport is striving for a form of citizenship in everyday life.
Keywords: Citizenship, working-class youth, education, socialization, local system of public action, rugby