APPEL LSP82 | Transitions énergétiques et climatiques : enjeux, débats et expérimentations en cours
LSP82, PRINTEMPS 2019
Sous la direction de Sophie L. Van Neste (Professeure-chercheure – INRS) et Renaud Hourcade (Chargé de recherche – CNRS)
Les discours sur la « transition » énergétique et climatique occupent aujourd’hui une place croissante dans le débat public, en particulier dans les secteurs de la production d’énergie, de la mobilité, de la construction et de l’aménagement du territoire. Les grandes villes semblent particulièrement concernées : Paris, par exemple, souhaite s’afficher comme l’une des capitales de la lutte contre le réchauffement climatique dans la foulée de la COP 21. D’autres villes et régions, certains États, mais aussi des acteurs citoyens, communautaires ou privés se montrent
actifs dans la construction d’un espace public plus en phase avec les nouvelles contraintes environnementales.
À l’échelle locale, le choix d’une urbanisation plus compacte et la promotion de l’écomobilité (offre de transports publics, promotion du vélo, mise à disposition de véhicules partagés, expansion de zones piétonnes…) font souvent figure de leviers privilégiés. Les débats publics et mobilisations sociales entourant ces modalités d’action montrent que plusieurs enjeux s’y entremêlent : sobriété énergétique et réduction de l’empreinte carbone certes, mais aussi efficacité et sécurité dans les déplacements, amélioration de la qualité de l’air, revalorisation d’espaces publics auparavant occupés par la voiture, voire l’expansion de la biodiversité urbaine. Dans d’autres contextes, c’est la question de la production de l’énergie qui occupe de plus en plus les débats, que ce soit pour contester certaines sources énergétiques (pétrole non conventionnel, gaz de schiste, hydroélectricité) ou pour promouvoir l’exploitation d’énergies renouvelables (projets d’éoliennes, de méthanisation, de géothermie, de photovoltaïque…). Là encore, le paradigme de la « transition » semble de plus en plus utilisé, même si les objectifs apparaissent souvent emmêlés : impératif de réorientation sous l’influence de la question climatique, mais également, dans certains cas, reconquête d’une souveraineté communautaire, citoyenne ou territoriale, sans exclure la quête de nouveaux profits financiers au sein d’un marché en transformation.
Ces processus complexes de « verdissement » des politiques énergétiques, de mobilité ou d’aménagement sous le vocable de la « transition » interrogent directement les sciences sociales : qu’ont-ils réellement en commun ? Qui les anime et avec quels objectifs ? Et à quel point ces pratiques transforment-elles les rapports sociaux ? Le flou conceptuel qui entoure souvent la notion de « transition » (qu’elle soit définie comme énergétique, post-carbone ou
socioécologique), le prisme techniciste qui a longtemps prévalu dans l’analyse, et les logiques de communication qui se greffent aux pratiques peuvent nuire à une appréhension efficace de ces dynamiques. Cependant, depuis quelques années, les travaux soucieux d’éclairer les logiques de « transition » se multiplient, sans occulter ses ambiguïtés ou ses compromis. Ils s’intéressent au rôle de la diversité des contextes territoriaux, des structures sociales, de l’activisme d’entrepreneurs de cause — économiques, politiques, sociaux, scientifiques — acteurs gouvernementaux et non
gouvernementaux — dans la mise à l’agenda de ces politiques. Ces travaux ont contribué à mettre en doute le caractère plus ou moins démocratique des expériences de « transition », en soulignant notamment le risque du renforcement des inégalités sociales qui peut les accompagner.
Ce numéro se situe dans la continuité de ces analyses avec une double intention :
- Rassembler des travaux empiriques consacrés à des pratiques concrètes de « transition » énergétique et climatique (en incluant le champ de la mobilité), institutionnelles ou non, de manière à mieux saisir la dynamique des politiques et expérimentations en cours dans une variété de contextes ;
- Donner à réfléchir, à partir de cas d’étude, sur la diversité des significations, le rôle des rapports de pouvoir et la multiplicité des conséquences sociales des trajectoires de « transition », en s’interrogeant notamment sur les enjeux d’inégalité et de précarité qui les accompagnent.
Les propositions de manuscrits traitant des trois sous-thématiques suivantes seront notamment privilégiées :
1.Débats, cadrages et mise à l’agenda
Le lancement d’une nouvelle politique de mobilité urbaine, ou encore l’implantation (ou la contestation) d’infrastructures de production d’énergie qui se réfèrent à l’impératif de « transition », suppose une série d’opérations de cadrage, pour reprendre une notion courante en sciences sociales. Si l’on accepte que le sens de ces politiques ne réponde pas à un déterminisme technique inévitable, il faut en effet chercher leurs origines dans la dynamique des luttes et transactions sociales qui les façonnent, les encadrent, ou les justifient. Ainsi s’opère une sélectivité des objets et des trajectoires de transition, au détriment d’autres choix possibles. Quel est le rôle d’idéologies particulières, des contextes historiques et géographiques, ou des jeux d’acteurs dans ces cadrages et dans la mise à l’agenda des « transitions » ? Justifier la transition, au-delà des constats scientifiques (eux-mêmes parfois contestés), c’est aussi pointer des responsabilités. Faire du climat ou de l’énergie une responsabilité étatique, une affaire territoriale ou une question urbaine change-t-il la nature des priorités ou des modes d’action ?
2.Diversité et circulation des pratiques
Un deuxième axe de réflexion concerne les pratiques et expériences concrètes. Que peut-on apprendre d’une analyse fine des rapports sociaux et politiques dans ces espaces présumés d’apprentissage et d’inspiration de « bonnes pratiques » ? Leur diversité, leurs articulations et leurs éventuels conflits ont encore été peu étudiés. La diversité semble d’abord se fonder sur des philosophies distinctes de l’agir politique, entre des pratiques dites « pré-figuratives » de citoyens et collectifs fonctionnant de manière autonome à l’État, des projets pionniers en collaboration avec des autorités locales (ou impulsées par elles) ou de nouvelles pratiques marchandes. Qu’estce qui distingue ces différentes approches sur le plan des pratiques et solutions concrètes ? Par ailleurs, certaines expériences territoriales sont citées en modèle, analysées et commentées (par exemple Le Mené en France, l’île de Samsø au Danemark, le réseau des « villes en transition »…), mais quelle est réellement l’influence de ces expériences dans les choix opérés par d’autres territoires ? À quelles circulations transnationales les expériences ou « modèles » de transition donnent-ils lieu ? Plutôt que de tenir leur portée pour évidente, il paraît nécessaire d’interroger leur nature de « laboratoire d’apprentissage », d’analyser les réseaux et relais qui en promeuvent la diffusion à d’autres contextes. Fonctionnent-elles autrement que comme récits mobilisateurs sur le thème d’un « autre monde » possible ?
3.Les revers de la transition : inégalités et précarités
Ce numéro s’intéressera enfin à des aspects souvent laissés de côté par les analyses de la transition, soit la question des inégalités et des précarités. Il peut s’agir d’abord de l’inégalité des impacts des infrastructures énergétiques sur les milieux de vie, comme dans le cas des implications du développement de l’énergie hydroélectrique sur les populations autochtones du Nord québécois. En termes de politiques de sobriété énergétique, on peut se demander si la priorité donnée aux évolutions techniques (bâtiments basse consommation, promotion du véhicule électrique…) n’a pas pour corollaire une invisibilisation des précarités énergétiques et des inégalités environnementales, deux sujets qui peinent à émerger comme problèmes publics dans les pays du Nord, et dont l’arrimage avec les ambitions écologiques dans les pays du Sud n’est pas évident. La question des inégalités d’accès à la mobilité, par exemple, est une préoccupation qui demeure souvent mineure. Il faut mentionner, enfin, l’hypothèse d’une accentuation des processus d’exclusion en lien avec les nouvelles normes de comportement écoresponsable. Ce questionnement revient à souligner les effets de déplacement des logiques de distinction vers les comportements écologiquement vertueux avec pour effet de renforcer la stigmatisation des publics précarisés pour lesquels ces normes sont plus difficilement atteignables. À quel point ces différents enjeux de justice sociale constituent-ils un angle mort des cadrages et expériences de « transition » ? À l’inverse, qu’est-ce qui explique qu’ils soient pris en compte, quand ils le sont ?
Les auteurs sont invités à envoyer une proposition de contribution (1 à 2 pages, ou environ 6 000 signes) à l’intention de Sophie L. Van Neste (sophieleblancvanneste@gmail.com) et de Renaud Hourcade (renaud.hourcade@cnrs.fr) avant le 15 décembre 2017.
Les auteurs dont la proposition aura été retenue par le comité de rédaction seront invités à soumettre un article complet pour le 15 mars 2018.