Des logiques militantes et productives en tension ? L’exemple de la politique d’achat et de vente d’une coopérative alimentaire parisienne

Bérangère Véron

Article complet du #90 | L’alimentation, un enjeu de justice sociale : mouvements alimentaires, politiques publiques et inégalités

FR : Cet article entend nuancer une thèse mise en avant par de nombreux travaux sur les coopératives alimentaires, qui souligne les tensions entre leurs objectifs militants et productifs. En mobilisant les données d’une enquête ethnographique réalisée à Paris sur une période de deux ans, et en s’appuyant sur le modèle de l’articulation contingente segmentée proposé par Giry et Wokuri (2020), l’article montre que ces tensions sont loin d’être unanimement perçues « de l’intérieur ». À travers l’exemple de la politique d’achat et de vente de la coopérative étudiée, nous montrons que l’articulation de ses objectifs militants et productifs, telle qu’elle transparaît dans les discours des enquêtés, est bien contingente et segmentée. La politique d’achat et de vente est ici déclinée en trois segments : la politique tarifaire de la coopérative, le choix des produits, et le fonctionnement hybride du magasin. La première partie montre que pour chacun de ces trois segments, les coopérateurs ont des points de vue hétérogènes sur les rapports entre rendements militants et productifs, ceux-ci étant tout aussi bien décrits comme divergents, convergents ou indépendants. La seconde partie montre que les perceptions des coopérateurs, et plus largement leur engagement dans la coopérative, sont partiellement stabilisés à travers diverses activités de régulation (Le Velly, 2017). La conclusion souligne que se pencher sur la manière dont les coopérateurs définissent « ce qui compte » pour eux permet de nourrir une réflexion plus large sur la pérennité des initiatives alternatives qui se montent actuellement, et sur le potentiel d’essaimage des coopératives.

Mots clés : coopérative, supermarché, alternative alimentaire, France

EN: This article seeks to bring nuances to a common thesis on food co-ops, which emphasizes the tensions between their activist and productive objectives. By relying both on ethnographic data collected in Paris over a period of two years, and on the theoretical framework provided by Giry and Wokuri (2020), the article shows that these tensions are far from being unanimously perceived “from the inside”. Through the example of the purchasing policy of a specific food co-op, we show that the articulation between activist and production-oriented objectives, as reported by members, is indeed contingent and segmented. The purchasing policy can be divided into three segments: the pricing policy of the food co-op, the choice of the products on sale, and the hybrid nature of the way the store operates. The first part shows that for each of these segments, members have heterogeneous viewpoints on the dynamics between activist and productive values, which may as well be described as divergent, convergent or independent. The second part shows that members’ perceptions and involvement in the food co-op are partially stabilized through various regulation activities (Le Velly, 2017). The conclusion underlines that addressing what co-op members define as “what matters” to them contributes to the ongoing debates on how sustainable are recently-created food alternatives, and on how to expand food co-ops.

Keywords: food co-op, supermarket, food alternative, France

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