#66 | Services publics à la carte? Le choix comme valeur sociale
Sommaire
Introduction
Services publics à la carte? Le choix comme valeur sociale
Nicolas Duvoux et Jane Jenson
Partie 1 — Le choix à l’épreuve de la résistance des cadres sociaux
Choix-liberté, choix-responsabilité et choix-autonomie : de l’idéologie politique aux formes pratiques
Frédérique Giuliani et Denis Laforgue
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Résumé
Le droit des usagers à disposer d’une possibilité de choix quant aux services publics auxquels ils ont recours est aujourd’hui un principe transversal aux politiques publiques dont l’objet est la personne humaine (social, éducation, santé). L’article propose d’étudier la prégnance exacte de cette philosophie politique du choix et les « formes pratiques » auxquelles elle donne lieu, dans différents domaines d’intervention de l’État : le champ de l’éducation familiale et de la protection de l’enfance ; l’insertion sociale et professionnelle des jeunes sans emploi ; la politique d’aide en faveur de la vieillesse dépendante ; les politiques de choix d’établissement scolaire par les familles. L’analyse procède en trois étapes. D’abord, l’étude des textes et discours officiels distingue deux formes typiques : le « choix-liberté » et le « choix-responsabilité ». Ensuite est étudiée la mise en oeuvre de cette double conception dans différents contextes institutionnels. Enfin, on établit la portée réelle de cette idéologie pour les usagers à partir de la notion de « choix-autonomie ».
Abstract
The right of users to exercise a degree of choice with respect to the public services they use has become a principle that cuts across public policies focusing on people as human beings (in the social, education and health care spheres). This paper examines the significance of this political philosophy of choice and the forms it has taken in practice in various areas of State intervention : family-life education and child protection ; social and vocational integration of jobless youth ; policies concerning dependent seniors ; policies allowing families to choose their children’s schools. A three-part analysis is conducted. First, official publications and speeches are examined, revealing that choice takes two typical forms : “freedom-choice” and “responsibility-choice.” Second, the ways in which this dual concept of choice has been implemented in various institutional contexts are studied. Third, the real consequences of this ideology for users are explored on the basis of the concept of “autonomy-choice.”
Dans la langue officielle de son choix : la loi canadienne sur les langues officielles et la notion de « choix » en matière de services publics
François Charbonneau
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Résumé
L’article s’intéresse à la notion de choix en matière de services publics à la lumière de l’expérience de la notion de « langue de son choix » incluse dans les diverses législations canadiennes depuis plus de quarante ans, c’est-à-dire depuis l’adoption de la Loi sur les langues officielles au Canada. Cet exemple montre bien comment le choix en matière de services publics peut avoir des conséquences délétères non intentionnelles pour les populations les plus vulnérables, dans ce cas-ci, les francophones vivant en situation minoritaire.
Abstract
This paper examines the idea of choice in public services in light of experience with the concept of “language of choice” found in various pieces of Canadian legislation over the last 40 years or so, ever since Canada passed its Official Languages Act. This example shows how choice with respect to public services can have unintended adverse consequences for the more vulnerable groups in society, in this case minority French-speaking communities in Canada.
La question du « choix » dans la décision de se marier ou non au Québec
Hélène Belleau et Pascale Cornut St-Pierre
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Résumé
Dans le débat sur la pertinence d’un encadrement légal de l’union libre, le législateur québécois a jusqu’à maintenant soutenu l’importance de préserver le libre choix des individus qui souhaitent vivre en dehors des cadres du mariage. Un tel argument repose sur quatre postulats quant au « choix » que font les couples lorsqu’ils prennent la décision de se marier ou non, postulats qui ne sont étayés par aucune étude empirique. En tenant compte du point de vue des couples sur la vie conjugale et à l’aide de notions de sociologie du droit telles l’internormativité, la conscience du droit et l’effectivité des lois, l’article montre que la décision des couples de se marier ou non repose en fait sur des motifs et des normes qui n’ont souvent rien de juridique, et que l’imposition d’un statut de « conjoint de fait » par les lois sociales et fiscales entretient la perception répandue mais erronée selon laquelle les conjoints de fait jouiraient, après quelques années de vie commune ou la naissance d’un enfant, d’un statut et d’une protection équivalents à ceux des couples mariés.
Abstract
In the debate over whether or not legislation is needed to regulate common-law marriage, Quebec lawmakers have so far maintained that it is important to preserve the free choice of individuals who wish to live together outside the institution of marriage. This position rests on four premises regarding the “choice” that couples make when they decide to marry or not – premises that are not based on any empirical findings. Taking into consideration the views of couples on married life and applying concepts from the sociology of law such as internormativity, legal consciousness and efficacy of legislation, this paper shows that the decision to marry or not is in fact founded on reasons and norms that often have no legal basis, and that the reference to “common-law” status in social and tax legislation perpetuates the widespread but mistaken belief that couples in common-law relationships, after living together for a few years or having a child together, enjoy a status or protection equivalent to that of married couples.
Partie 2 — Le choix des différents modèles sociaux
Le difficile arrimage entre les politiques sociales et la responsabilité individuelle : le cas des politiques du logement aux États-Unis
Xavier Leloup
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Résumé
Les politiques du logement promouvant la production d’un parc immobilier à caractère social ont fait l’objet de nombreuses critiques. Pour y remédier, plusieurs pays ont opté pour des aides directes aux ménages. Les États-Unis illustrent parfaitement ce basculement entre une aide centrée sur la production et la gestion d’ensembles résidentiels à caractère social et celle axée sur les capacités des ménages à se trouver un logement sur le marché privé. Leurs politiques du logement constituent donc un cas particulièrement intéressant à analyser afin de comprendre comment s’opère l’arrimage entre des politiques sociales et la responsabilité individuelle. C’est ce que se propose de faire cet état de la question sur l’utilisation par les ménages de leurs allocations au logement dans le cadre de différents programmes de réhabilitation du parc social et de déconcentration de la pauvreté.
Abstract
Government policies that promote construction of social housing have been widely criticized. In an effort to address this criticism, a number of countries have opted instead to provide direct aid to households. The United States offers a perfect example of this flip-flopping between aid focused on the construction and management of social housing and aid designed to help households find housing on the private market. American housing policies thus constitute a particularly interesting case for analysis in seeking to understand how social policies can be tailored to respect individual responsibility. That is the issue explored in this paper on how households use the housing allowances they receive under various programs designed to refurbish the social housing stock and fight poverty.
Promotion du « choix » ou gestion du risque? Retour sur l’introduction inachevée du « choix » pour les usagers des services de santé mentale en Angleterre sous le New Labour
Émilie Courtin
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Résumé
Le New Labour a fait de l’ouverture au « choix » l’un des principaux axes de sa réforme du système de santé britannique. Si cette ouverture a été bien documentée, peu de travaux se sont intéressés à l’impact de cette réforme sur la politique de santé mentale. L’objectif de l’article est donc de présenter cette réforme mettant en oeuvre des choix élargis pour les usagers des services de santé mentale. L’hypothèse centrale de l’article est que l’introduction inachevée du « choix » pour les usagers des services de santé mentale cristallise les difficultés et les paradoxes de la réforme du New Labour.
Abstract
New Labour made openness to “choice” one of the main points of its reform of the British health care system. While this openness has been well documented, few studies have explored the impact of the reform on mental health policy. The objective of this paper is to examine the reform, which implemented a broader range of choices for the users of mental health services. The paper’s main hypothesis is that the incomplete introduction of “choice” for the users of mental health services crystallizes the problems and paradoxes of New Labour’s reform.
Le modèle universaliste suédois au prisme du libre choix
Nathalie Morel
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Résumé
La question du libre choix dans le domaine des politiques sociales s’est imposée comme un élément structurant du débat dans de nombreux pays, se traduisant par la mise en place de nouveaux instruments d’action publique. Cette question est devenue centrale en Suède dès la fin des années 1970, et de nombreuses réformes ont été menées au nom du libre choix, par des gouvernements de droite comme de gauche, entraînant une remise en cause potentiellement importante des principes idéologiques (universalisme et égalitarisme) et des fondements institutionnels (rôle prépondérant de l’État dans l’offre de services) sur lesquels repose l’État-providence social-démocrate.
Abstract
The question of free choice in social policy became a focus of debate in many countries and led to the development of new policy instruments. It was a core issue in Sweden in the late 1970s, and a wide range of reforms were conducted in the name of free choice by both right-leaning and left-leaning governments, giving rise to a potentially far-reaching challenge to the ideological principles (universality and equality) and institutional foundations (dominant role of the State in providing services) on which the social democratic welfare state was based.
L’économie plurielle dans les services à domicile au Canada : une comparaison des modes de régulation entre le Québec et l’Ontario
Christian Jetté, Yves Vaillancourt et Jean-Vincent Bergeron-Gaudin
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Résumé
L’article présente une comparaison des modes de régulation des services à domicile au Québec et en Ontario à partir d’une approche empruntée au cadre conceptuel de l’économie solidaire et plurielle en tenant compte des dispositions permettant aux usagers d’exprimer leurs préférences quant à l’organisation des services. Après avoir tracé le portrait des transformations des services à domicile au Québec et en Ontario au cours des quinze dernières années, nous mettons en relief le caractère déterminant des modes de régulation dans la structuration des services dans les deux provinces. Si l’Ontario a expérimenté avec plus d’intensité la régulation concurrentielle en mettant en place un système de managed competition, le modèle québécois, quant à lui, reste ancré de manière dominante dans une régulation tutélaire, malgré un intérêt plus récent pour la logique concurrentielle. Malgré leurs différences, le choix des usagers dans l’organisation des services reste toutefois peu considéré dans les deux modèles.
Abstract
This paper compares modes of regulating in-home services in Quebec and Ontario based on an approach borrowed from the conceptual framework of the plural, solidarity economy, taking into account provisions that allow users to express their preferences regarding the organization of services. After outlining how the delivery of in-home services has changed in Quebec and Ontario over the last 15 years, we highlight the modes of regulation as the decisive factor in structuring services in the two provinces. While Ontario experimented more intensely with competitive regulation by setting up a system of managed competition, Quebec has stuck with a supervisory regulation model, despite more recent interest in a competition-based approach. Notwithstanding the differences between the two systems, users’ freedom to make choices about the organization of services is given little consideration in either model.
Partie 3 — Choix et politiques publiques
Compétition et choix dans le champ scolaire. Un modèle statutaire d’analyse des logiques institutionnelles et sociales
Agnès van Zanten
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Résumé
L’article présente une analyse de la régulation de l’offre et de la demande éducative dans l’enseignement secondaire français. Il s’intéresse à l’influence des choix politiques et des logiques institutionnelles et sociales qu’ils engendrent de façon délibérée ou non voulue, sur les stratégies compétitives des établissements et les stratégies de choix des familles. Se focalisant sur les procédés que mettent en oeuvre les acteurs institutionnels et sociaux pour préserver leurs intérêts, notamment quant au maintien ou à l’amélioration de leur position, l’analyse de leur interaction met l’accent sur le rôle de mécanismes statutaires dans les appariements et les relations de pouvoir.
Abstract
This paper analyses the regulation of educational supply and demand in French secondary schools. It looks at the influence of policy choices – and the institutional and social logic they involve, whether intentionally or not – on establishments’ strategies of competition and families’ strategies of choice. Focusing on the processes that institutional and social players use to defend their interests, especially with regard to maintaining or enhancing their positions, the analysis of their interaction emphasizes the role that statutory mechanisms play in matching families and schools and in power relationships.
Le choix de l’école secondaire de langue française en Ontario par les parents
Nathalie Bélanger
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Résumé
L’éducation représente une ressource centrale dans les nouvelles économies du savoir du XXIe siècle et la notion de choix scolaire est examinée ici dans le contexte de recomposition de l’État. Le choix scolaire se révèle structuré par des instruments d’action publique tels que le palmarès de rendement des écoles aux tests standardisés. Dans la première partie de l’article, une revue de la littérature permet de déconstruire cette notion en examinant plus en détail ce que signifie le choix, qui choisit et comment les choix sont rendus possibles. Dans la deuxième partie, en analysant les réponses à un sondage récemment administré à un groupe de parents (n=59) membres d’une association et dont les enfants sont inscrits dans les écoles de langue française en Ontario, il s’agit d’explorer et de mieux comprendre ce que signifie le choix de l’école par les familles et de saisir les critères qui le motivent. Les résultats montrent, entre autres, que les parents qui se prévalent du choix scolaire s’en remettent moins à des informations formelles ou à des compilations officielles qu’à des informations de première main obtenues grâce à leur réseau social. L’offre des programmes, le corps enseignant et la direction, les normes et valeurs, et « l’esprit d’école » semblent être des critères qui retiennent l’attention des parents, tandis que la diversité dans la composition des élèves d’une école n’est pas un critère de choix déterminant pour les parents sondés. Ces résultats posent la question de la capacité intégratrice des écoles dans un contexte de grande diversification.
Abstract
Education is a core resource in the new knowledge economies of the 21st century, and the concept of choice of school is examined here in the context of rebuilding the State. School choice is shown to be structured by public policy instruments such as the rankings of school performance on standardized tests. In the first part of the paper, a review of the literature deconstructs this concept by investigating in greater detail what choice means, who is doing the choosing and how choices are made possible. In the second part of the paper, the responses to a recent survey of a group of association parents (n = 59) whose children are enrolled in French schools in Ontario are analysed with the aim of exploring and better understanding what it means for families to choose a school, and determining what criteria they use in making that choice. The results show that parents who exercise their right to choose their child’s school rely less on formal or officially compiled information and more on first-hand information obtained through their social network. The programs offered, the teaching and administrative staff, the standards and values, and the school spirit seem to be the criteria that parents focus on, whereas diversity of the student body is not a decisive criterion. In the context of a highly diverse population, these results raise the question of the capacity of schools to promote integration.
Diversité de choix et inégalités d’accès aux services publics : le paradoxe de l’écologisation de la politique agricole à La Réunion
William’s Daré et Jérôme Queste
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Résumé
Depuis 1992, le discours pour une agriculture plus respectueuse de l’environnement s’est traduit par une multiplication des instruments et dispositifs de politiques publiques visant à orienter le changement des pratiques des agriculteurs. Le portefeuille de dispositifs agri-environnementaux (DAE) facultatifs s’est étoffé. Mais à La Réunion, l’« équipement » des possibilités de choix réalisé par les institutions agricoles pour opérationnaliser ces DAE limite les marges de manoeuvre des agriculteurs et aboutit à un paradoxe : aux prises avec les exigences de rentabilité, les services publics agricoles continuent de cibler des agriculteurs professionnels et marginalisent encore davantage les agriculteurs informels, situés en dehors des réseaux administratifs, pourtant source potentielle de pollution plus grande que ces premiers, et essentiels pour la ruralité réunionnaise.
Abstract
Since 1992, the official government line in favour of more environmentally friendly agriculture has resulted in an increase in the number of public policy instruments and measures aimed at getting farmers to change their practices. The portfolio of optional agro-environmental measures has grown considerably. But in Réunion, the options made available by agricultural institutions for operationalizing these agro-environmental measures are limiting farmers’ range of action and creating a paradox : in trying to meet profitability goals, public agricultural agencies continue to target large-scale professional farmers, further marginalizing small-scale informal operators who are not part of regular administrative networks, even though they are a potential source of even greater pollution than the large-scale operators, as well as constituting an essential part of the fabric of Réunion rural life.